FARAUT Albert, Louis
Par Antoine Olivesi et Gérard Leidet
Né le 12 juillet 1910 à Marseille (Bouches-du-Rhône), mort le 22 mars 1991 à Valgorge (Ardèche) ; instituteur à Marseille ; militant syndicaliste de la FUE puis du SNI ; militant communiste puis trotskiste.
Albert (Louis) Faraut naquit à Marseille, 14 chemin de Mazargues (aujourd’hui avenue de Mazargues) dans le 9e arrondissement. Son père, Michel Faraut était gardien de la paix ; sa mère, née Marcelle Martini, sans profession s’occupait du foyer.
Faraut (orthographié également Faraud dans les sources, voire Farault) toujours prénommé Louis dans les sources syndicales, instituteur à Marseille, enseignait durant l’entre-deux-guerres à l’école du boulevard Oddo sur la route d’Aix, vers la sortie nord (quartiers industriels) de la ville.
En août 1933, au congrès de Reims de la FUE (Fédération unitaire de l’enseignement-CGTU), il fut élu pour l’année scolaire 1933-1934 au nouveau conseil fédéral au titre de la MOR (Minorité oppositionnelle révolutionnaire). Celle-ci, regroupant les militants communistes, était représentée par deux autres militants : Victorien Barne et Albert Dolmazon. Trois autres marseillais siégeaient au bureau fédéral mais au titre de la majorité fédérale : (Jean Salducci (secrétaire corporatif) et Jean Angelini (trésorier). Au congrès fédéral de Montpellier en août 1934, Faraut fut remplacé par René Lopin.
La « défense de l’URSS » se situait au centre de l’argumentation développée par les syndicalistes de la MOR. Toutefois, comme plusieurs militants notoires de la tendance, Louis Faraut rompit progressivement avec le Parti communiste, dont il n’était plus membre en 1935, sans pourtant allonger la liste de ceux passés à la majorité fédérale dès le début des années 1930 : Henri Féraud, Raymond Guilloré.
En 1934-1935, Louis Faraut était toujours répertorié par la police comme secrétaire du syndicat CGTU des instituteurs, membre de la commission administrative de l’Union locale unitaire de Marseille, ainsi que du conseil d’administration de l’Union régionale unitaire. Il signa d’ailleurs encore en juillet 1935 dans L’Émancipation, un article, « L’ennemi est toujours chez nous ».
Faraud fit cependant partie des nombreux militants de la FUE qui souhaitaient le rapprochement et l’unification des deux syndicats unitaire et confédéré.
Il participa ainsi à la délégation du Syndicat de l’enseignement laïque (CGTU) des Bouches-du-Rhône, admise à assister au conseil syndical extraordinaire du Syndicat national des instituteurs (SNI-CGT) du 21 septembre 1934. L’objet de cette réunion était la défense de Marcel Babau, secrétaire général de la section du SNI, qui était menacé d’être sanctionné à la réunion du Conseil départemental du lendemain, à la suite de propos rapportés par L’Éclaireur de Nice lors du dernier congrès du SNI.
Louis Faraut participa ensuite à l’assemblée générale de fusion de la FGE (Fédération générale de l’enseignement-CGT) et de la FUE (Fédération unitaire de l’enseignement-CGTU), le jeudi 14 novembre 1935, à La Bourse du Travail de Marseille. Il était accompagné pour la FUE d’Elie Florens, secrétaire du syndicat, de Mlle Leleu, représentante des professeurs de lycée, et de Charles Nédelec, secrétaire de l’Union régionale unitaire. Babau, devenu secrétaire général du SNI-CGT, donna lecture des statuts provisoires de la section départementale de la nouvelle Fédération générale de l’enseignement. Le point litigieux entre confédérés et unitaires concernait le cumul des mandats politiques et syndicaux. La thèse confédérée de l’incompatibilité fut adoptée. Florens déclara que ses camarades s’inclinaient devant la majorité, et Faraut fut désigné avec Babau, à l’unanimité, pour assister au congrès national de Paris du 27 décembre 1935 qui entérina la fusion, et adopta contre les propositions des anciens unitaires de la majorité fédérale, la structuration en syndicats nationaux et la reconnaissance des tendances avec leur représentation proportionnelle dans les instances.
En novembre, Louis Faraut fut donc élu au bureau provisoire du Syndicat unique des institutrices et instituteurs des Bouches-du-Rhône, en même temps que deux de ses camarades « ex-unitaires », Jean Salducci (secrétaire administratif) et Ruffin (en charge de la publicité et du bulletin). Il était responsable de La Terre Libre, succédant dans cette fonction à Raymonde Jaubert, et membre de la commission Affaires internationales animée par Jean Mouton, avec Costa, Lucien Bernard et Irma Rapuzzi.
Le 25 février 1936, Louis Faraut participa à l’assemblée générale de la sous-section marseillaise du SNI, au cours de laquelle Marcel Babau, et le conseil syndical déposèrent une motion précisant que le programme du Front populaire ne devait pas correspondre « au minimum adopté par la CGT ». A Lucien Bernard, ancien militant du syndicat unitaire et militant communiste, qui souhaitait qu’on n’oppose pas le plan de la CGT à celui du Front populaire, et pour qui le mouvement syndical n’avait « qu’à gagner à faire sien » le programme du Front populaire, Louis Faraut exprima une double mise en garde. Selon lui, rien n’était prévu pour la suppression des décrets-lois ; et si l’on adoptait le programme du Front populaire, on entrait dans la bataille électorale. L’ordre du jour présenté par Marcel Babau (statuts, orientation, unité internationale, et cumul des mandats) fut néanmoins voté par paragraphes avec 3 voix contre : celles de Faraut, Antonin Margaillan, et Jean Salducci. L’AG vota également une motion interdisant tout cumul de mandat politique et syndical. Faraut intervint pour préciser qu’un « mandat gouvernemental » ne pouvait être accepté que sous le contrôle et avec l’approbation des syndiqués.
La commission exécutive du SNI départemental du 18 juin 1936 réexamina les modifications aux statuts de l’UD-CGT, parmi lesquelles figurait l’incompatibilité entre fonctions syndicales et électives, conformément au principe de la « charte de Toulouse » adopté au congrès de réunification de la CCT en mars précédent. Sur proposition d’Irma Rapuzzi, fut adopté un texte interdisant aux membres du bureau exécutif de faire acte de candidature à une fonction politique ou d’appartenir aux organismes directeurs d’un parti. Louis Faraut, qui demeurait opposé à cette demi-mesure, interrogea ses camarades majoritaires : « Le militant qui aura mis au second plan son activité syndicale ou politique, cessera-t-il nécessairement d’exercer une action profonde sur son groupement… ? ».
Au printemps 1937, Louis Faraut avait clairement manifesté son basculement vers le trotskisme. Le 18 juin, au cours d’une réunion publique, à Marseille, il dénonça le « revirement » du PC français et la politique stalinienne en URSS. Et il annonça le lancement d’un journal fidèle aux principes de Lénine et de Trotsky,La Révolution permanente, soutenu par un groupe d’instituteurs. Une cinquantaine de personnes, « dont une douzaine de trotskystes » connus, et « d’anarcho-syndicalistes » assistèrent à cette réunion. La même affluence fut signalée à propos d’une conférence de Pierre Naville, en juin, également à Marseille.
Peu après, Louis Faraut démissionna du bureau du SNI en même temps que Salducci et Ruffin, lors de l’AG de la sous-section marseillaise du 6 juillet 1937. Selon lui et ses deux camarades ex-unitaires, les majoritaires du bureau départemental s’inclinaient « devant les ordres » d’ André Delmas, secrétaire général du SNI, et de René Vivès, membre de la direction du SN, qui s’étaient prononcés à nouveau contre la reconnaissance des tendances et leur représentation proportionnelle dans les instances. Or cette représentation était vitale pour le courant minoritaire regroupé autour de la revue l’Ecole émancipée. Faraut fut remplacé au bureau du SN par Laugier, instituteur à Grans, délégué comme lui à la « Terre libre », mais aussi à SUDEL, la société d’édition du SNI.
En octobre 1938, Louis Faraut fut candidat aux élections à la commission exécutive de la section départementale du SNI sur la liste de "redressement et d’indépendance du syndicalisme" avec, en plus de Salducci et Ruffin, notamment : Adrienne Montégudet, Léon Guidicelli, Edouard Labeille, Pascal Léna. Ayant obtenu 367 voix (sur 898 votants et 877 exprimés), il fut élu à la CE de 26 membres. La liste majoritaire avait obtenu 434 voix de moyenne ; celle de la liste « de redressement et d’indépendance du syndicalisme » (« École émancipée ») 341 voix de moyenne ; celle de Lucien Bernard, (syndicalistes communistes), 120. Louis Faraut et ses amis estimèrent qu’ils avaient été battus « comme les adversaires de Pyrrhus ! ». En effet les élus « majoritaires » n’avaient pas obtenu la majorité absolue en voix.
Louis Faraud assista au congrès départemental du SNI du 7 juillet 1938. Il intervint lors du débat sur la « défense laïque » pour s’opposer aux propositions des syndicalistes communistes. À L. Bernard qui proposait une assemblée générale invitant tous les élus du Front populaire sur cette thématique, à Robert Giudicelli, syndicaliste communiste lui aussi, pour qui il était impossible de séparer la laïcité et la paix, et pour qui « l’Union sacrée faisait faire des abandons », Louis Faraud répondit que la question était inopportune et « tournerait bien vite à la politique ». Louis Gazagnaire reprit la proposition de Bernard, estimant comme son camarade que la question était très opportune et qu’il fallait que les élus viennent débattre. Vielmas qui présidait le congrès mit la demande de Bernard aux voix ; celle-ci fut repoussée par le congrès. Les trois motions d’orientation en présence donnèrent les résultats suivants (sur 433 votants) : celle du bureau (majoritaires), 250 voix ; motion Margaillan/Faraud (École émancipée), 107 voix ; motion André Izaïa (syndicalistes communistes), 61 voix ; 14 abstentions, une voix contre toutes les motions.
Le 13 décembre 1938, l’AG de la sous-section marseillaise analysa le « demi-échec » de la grève du 30 novembre. Louis Faraut intervint longuement. Il estimait qu’un coup avait été porté aux idées syndicalistes, et que le mouvement syndical risquait de perdre les avantages conquis depuis juin 1936. La « tradition » du mouvement de grève avait été bafouée par la CGT, dont les dirigeants n’avaient pas clairement indiqué que la grève était dirigée contre les décrets lois et la nouvelle politique monétaire. Il dénonça à cet égard les « idées de rénovation » et les convergences se dessinant entre les idées financières de Paul Reynaud et de « quelques » dirigeants de la CGT. Après avoir rappelé que la grève était le seul moyen de défense du syndicalisme, à condition d’« obéir aux ordres reçus », Louis Faraut combattit les mesures indulgentes envisagées par André Delmas à l’égard des non-grévistes, et demanda leur exclusion, leur laissant « la possibilité de revenir au syndicat en payant leur journée de grève ». Il exprima alors ce qui demeurait fondamental : il valait mieux « être une poignée de syndiqués agissant, que d’être nombreux et ne pas marcher au moment de l’action !... ». Marcel Bens, nouveau secrétaire général de la section départementale du SNI, exprima son désaccord total. Il fallait établir une différence entre les cotisants et les dirigeants : ces derniers n’avaient qu’à « faire leur devoir », discipline qu’on ne pouvait exiger de la masse des adhérents car les institutrices et instituteurs qui ne reviendraient sans doute pas après une exclusion de principe, le syndicat risquant alors d’être « réduit à 400 membres ! ».
On ne retrouve plus la trace de Louis Faraut dans les équipes du SNI de l’après-guerre – désormais dirigées par les anciens membres du Front national de l’enseignement et du CNI (Comité national des instituteurs), et animées dans les Bouches-du-Rhône par Georges Cheylan et Edouard Sicard, initiateurs du futur courant « Bouches-du-Rhône » dans le SNI et la FEN. Le nom du militant n’apparaît pas non plus dans le groupe des Amis de L’École émancipée.
Louis Faraut avait épousé Marthe Brasier, à Marseille, le 18 mars 1940.
SOURCES : Arch. Dép. Bouches-du-Rhône, M 6/10812, rapport du 19 juin 1937 ; XIV M 24/62, rapport du préfet du 22 janvier 1935 et rapport de police. — Arch. Comm. Marseille, listes électorales de Marseille 1935, 1937, 1939, 1947. — L’Émancipation, juillet et novembre 1935. — Bulletin du syndicat national des institutrices et instituteurs, section des Bouches-du-Rhône (octobre-novembre 1934) ; Bulletin du syndicat unique des institutrices et instituteurs des Bouches-du-Rhône (décembre 1935- juin 1936 ; octobre 1937- juin 1939). — François Bernard, Louis Bouet, Maurice Dommanget, Gilbert Serret, Le syndicalisme dans l’enseignement, Histoire de la Fédération de l’enseignement des origines à l’unification de 1935, Présentation et notes de Pierre Broué, Grenoble, Institut d’études politiques, 1966, 3 vol. — Loïc Le Bars, La Fédération unitaire de l’enseignement (1919-1935) : Aux origines du syndicalisme enseignant, Ed. Syllepse, 2005. — État civil, copie de l’acte de naissance ; archives municipales de la ville de Marseille.
POUR CITER CET ARTICLE :
https://maitron.fr/spip.php?article112631, notice FARAUT Albert, Louis par Gérard Leidet, Antoine Olivesi , version mise en ligne le 20 février 2022, dernière modification le 24 février 2022.
Par Gérard Leidet, Antoine Olivesi
PRADOS Ernest, Isidore, Manuel [Pseudonyme dans la Résistance, Philippe]
Auteurs : Robert Mencherini, Gérard leidet
Né le 6 septembre 1921 à Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône) ; abattu le 19 juillet 1944 à Aix-en-Provence ; combattant volontaire en Espagne dans une milice anarchiste, membre des Jeunesses communistes (JC) et, peut-être, antérieurement, des Jeunesses socialistes ; journalier, maçon ou ouvrier ébéniste ; résistant FTPF (Francs tireurs et partisans français).
Ernest Prados était le fils de Fernande Gaillard, journalière, et de son époux, Fernandez José Prados, charcutier, domiciliés rue des Marseillais à Aix-en-Provence. José Prados, né le 26 janvier 1900, à Arrigorriaga (arrondissement de Biscaye au pays basque espagnol), fut naturalisé français par décret du 25 juillet 1934.
C’est peut-être cette ascendance paternelle basque qui poussa le jeune Ernest, à l’âge de quinze ans, à s’engager dans la guerre d’Espagne, aux côtés des Républicains. On le retrouve, en 1937, sur le front de Huesca (an nord de l’Espagne), dans la colonne anarchiste Los Aguiluchos (Les Aiglons). Il y fit preuve, pendant cinq mois et demi, selon les témoignages de plusieurs de ses camarades de combat, les anarchistes suisses Albert Minnig et Gustave Perdrisat, d’une grande bravoure. Il refusa, comme eux, la « militarisation » des milices (leur intégration dans l’armée régulière), et choisit, avec Albert Minnig, de rejoindre, au Castillo Ferrer, à quelques kilomètres du front, la section italienne de la colonne Ascaso (groupe 39, centurie 4), composée d’anarchistes et de « giellistes » (partisans de Giustizia e Libertà - Justice et Liberté - des frères Rosselli) et qui entend demeurer autonome. Mais, réclamé par le consulat de France, à la fin janvier 1937, et par sa mère qui vint le chercher en Espagne, Ernest Prados fut démobilisé à son corps défendant et rapatrié en France. Gustave Perdrisat dresse, dans ses souvenirs, un tableau émouvant de ce départ et un portrait chaleureux du « benjamin du régiment » : « Un gosse, quoi ? Que non pas, mais un homme de quinze ans, car Prados est brave, valeureux, sans peur. Il se moque de la mort. […] Quoi ? Le gosse, notre gosse partait là, tout à coup ? On n’allait plus entendre sa gouaille, ses bons mots, ses frais éclats de rire. On perdait tout cela : ce brave cœur, si bon, si généreux, l’enfant du régiment, connu d’un extrême à l’autre de la tranchée, si franc, si gai, si farce ». La séparation d’avec ses camarades fut douloureuse également pour Ernest Prados : « Il refuse tout d’abord de partir, ainsi qu’un certificat du gouvernement qui le remercie pour son dévouement et son courage. Puis, se rendant compte de l’angoisse dans laquelle sa mère est plongée, il se décide, nous embrasse tous et part avec de grosses larmes de regret sur les joues. Consternés, nous le regardons s’éloigner sur la grande route, mais nous nous consolons en pensant qu’il va vers la vie, et nous parlons longuement sur sa bonne tenue à nos côtés, dans les moments les plus tragiques passés pendant ces cinq mois et demi de front » (Albert Minnig, « Cahier d’un milicien dans les rangs de la CNT-FAI », Le Réveil anarchiste , n° 986, 20 novembre 1937).
Cette expérience militaire précoce fut prolongée, à Aix-en-Provence, lors de la Seconde Guerre mondiale, au sein des FTPF avec lesquels Ernest Prados prit contact en 1944. Avant un éventuel enrôlement, il fut interrogé sur ses motivations par André Claverie, Jean-Paul , responsable militaire FTP d’Aix-en-Provence, qui le rencontra dans ce but, cours Sextius, en mai 1944. Dans la relation qu’il fit de cette rencontre, Jean-Paul décrivit un « jeune homme, presque un adolescent » qu’il sentit « un peu perturbé ». Ernest Prados, désireux à tout prix de le convaincre, lui indiqua être réfractaire au STO (Service travail obligatoire), donc déjà dans l’illégalité, et avoir été, avant guerre, membre des Jeunesses socialistes, puis des Jeunesses communistes. Mais il n’aurait pas évoqué, à cette occasion, son engagement en Espagne, du moins André Claverie n’en fait pas état dans son témoignage. Cette discrétion est-elle liée à la participation d’Ernest Prados à une colonne anarchiste ? Compte-tenu des affrontements qui opposèrent, à Barcelone, pendant la guerre d’Espagne, les communistes aux anarchistes et aux trotskistes, cet engagement aurait pu être défavorable à son intégration dans les FTP. Il ne serait pas étonnant qu’André Claverie en ait eu, tout de même, au moins quelques échos. Mais, quoiqu’il en soit, la « volonté farouche et déterminée de combattre » du jeune homme leva les réticences de Jean-Paul.
Ernest Prados, après avoir été testé dans quelques actions bégnines, participa alors, sous le pseudonyme de Philippe, à plusieurs interventions du groupe FTPF aixois. Ainsi, à la fin mai 1944, il fit partie, avec Daniel Gay, Marie-Jean, du groupe de protection armé d’une grande manifestation qui accompagna, à Marseille, la « grève du pain ». Les deux hommes furent d’ailleurs interpelés à cette occasion par la police qui, menacée par leurs camarades, les relâcha. Le 15 juin 1944, il ravitailla, toujours en compagnie de Daniel Gay, le maquis de Saint-Antonin-sur-Bayon (Bouches-du-Rhône). Les deux hommes qui passèrent la nuit auprès des maquisards, échappèrent de justesse à l’attaque de ce maquis par les Allemands (Voir Saint-Antonin-sur-Bayon, lieu d’exécutions).
Le 19 juillet, Ernest Prados, fut chargé d’une mission de représailles conduite par les FTP aixois. Celle-ci devait s’exercer à l’encontre de malfrats qui, sous le fallacieux prétexte de la Résistance, se livraient à des opérations de racket sur certains paysans du quartier des Platanes, situé au Nord d’Aix sur la route de Venelles.
Daniel Gay avait donné rendez-vous à son groupe à cinq heures du matin, afin de précéder la mise en place des barrages allemands. Ernest Prados resta endormi - « pour des raisons que sa jeunesse pouvait expliquer » (André Claverie) – et il n’enfourcha sa bicyclette pour se rendre au lieu de rendez-vous que vers les huit heures. Parvenu au lieu-dit Les Platanes, il fut arrêté par un barrage de la Feldgendarmerie. Les militaires ne virent en lui qu’un réfractaire au STO et il fut reconduit à Aix, à la caserne Forbin, par un seul Allemand. Arrivé à proximité de la rue Maréchal Joffre qui n’est pas très éloignée de cette caserne, Ernest Prados jeta son vélo dans les jambes du Feldwebel et s’enfuit en courant. Sa fuite fut de courte durée. Rue Pavillon, il se heurta à une patrouille allemande qui procédait à des contrôles d’identité. Les soldats allemands ouvrirent le feu et le blessèrent mortellement.
L’assassinat de ce jeune homme suscita, parmi les Aixois, une grande émotion dont les FTP et les organisations de femmes résistantes se saisirent. Le résultat fut un cortège funéraire impressionnant, qui, le 21 juillet, accompagna le cercueil d’Ernest Prados jusqu’au cimetière Saint-Pierre, porté dans les derniers mètres, sur les épaules de ses camarades. Un groupe de protection veillait discrètement et le sous-préfet avait été mis en garde contre toute velléité d’intervention. Certaines femmes arboraient des rubans tricolores sur leurs robes. Devant la tombe, une minute de silence fut observée et un Espagnol prononça quelques mots, puis La Marseillaise fut reprise par toute l’assistance. Les obsèques d’Ernest Prados comme celles d’autres résistants, furent l’occasion d’une véritable manifestation patriotique.
Après la Libération, les Jeunesses communistes d’Aix-en-Provence entretinrent la mémoire d’Ernest Prados. Son nom fut donné, en février 1945, au cercle des JC et une course cycliste « Souvenir Ernest Prados » fut organisée le premier avril 1945. Une plaque commémorative fut apposée sur le lieu de sa mort tragique, rue Pavillon, à la croisée avec la rue Maréchal Joffre (aujourd’hui place Jean Boyer). Le 19 juillet 1945, à l’appel de l’Union de la jeunesse républicaine de France (UJRF, dans laquelle les JC étaient intégrées), un cortège important partit de la place de la mairie, siège de cette association, pour aller fleurir, d’abord cette plaque, puis la tombe d’Ernest Prados au cimetière Saint-Pierre. Celui-ci devint un « exemple de l’héroïsme des jeunes Français qui n’ont jamais accepté la défaite et l’asservissement », exemple que les Jeunesses communistes d’Aix-en-Provence continuèrent, jusqu’à nos jours, à commémorer.
Ernest Prados obtint la mention « Mort pour la France », le titre de « Combattant volontaire de la Résistance » et fut homologué adjudant-chef. Cité à l’ordre de la division comme « jeune résistant actif courageux jusqu’à la témérité. Volontaire pour toutes missions difficiles et périlleuses », il fut décoré de la Croix de Guerre avec étoile d’argent.
Le nom d’Ernest Prados est aussi inscrit, à Aix, sur le monument de la Résistance du cimetière Saint-Pierre et sur la plaque commémorative de la place des Martyrs de la Résistance, « La ville d’Aix-en-Provence à ses morts déportés et fusillés », à Lambesc (Bouches-du-Rhône) sur le Mémorial du maquis de Sainte-Anne. Il a également été donné à une rue de la ville, dans le quartier de Pont de l’Arc.
POUR CITER CET ARTICLE :
http://maitron-en-ligne.univ-paris1.fr/spip.php?article208542, notice PRADOS Ernest, Isidore, Manuel [Pseudonyme dans la Résistance, Philippe] par Robert Mencherini, Gérard Leidet, version mise en ligne le 9 novembre 2018, dernière modification le 9 novembre 2018.
SOURCES : AVCC Caen, 21 P135352 . — Archs dep. des Bouches-du-Rhône, 2159 W 368. — Arch. mun. Aix-en-Provence, 6H57, 6h58, 6H61. — Arch. ANACR Aix-en-Provence. — Centre des archives diplomatiques de Nantes, fonds du consulat de Barcelone, 72PO/2/63, lettre du 27 janvier 1937. — Journal officie l, 6 août 1934. — Le Réveil anarchiste , 1937. — Rouge-Midi , 6 février, 1er, 25, 28 mars, 22-23 juillet 1945 — Edouard Sill, « La croisade des gosses. Fugues, disparitions et enrôlements volontaires de mineurs français en Espagne durant la guerre civile », Vingtième Siècle. Revue d’histoire , 2011/2 (n° 110). — Comment fut libéré Aix-en-Provence. Histoire du détachement Jean-Delmas (9e compagnie FTPF) , Marseille, Éditions « Combattre »/ les Amis des FTPF, sd. — Jean-Maurice Claverie, La Résistance, notre combat, Histoire des FTPF du pays d’Aix , Beaurecueil, Ed. Au seuil de la vie, 1991. — Robert Mencherini, La Libération et les années tricolores (1944-1947), Midi rouge, ombres et lumières , t. 4, Paris, Editions Syllepse. — Albert Minnig, Ed Gmür, Pour le bien de la Révolution. Deux volontaires suisses miliciens en Espagne, 1936-1937 , Lausanne, CIRA, 2006. — Gustave Perdrisat, Trois mois au service de la révolution espagnole, récit-reportage d’un ex-volontaire , slnd., cité par Édouard Sill, op. cit. — Jean-Claude Pouzet, La Résistance mosaïque, Histoire de la Résistance et des Résistants du Pays d’Aix (1939-1945) , Marseille, Éditions Jeanne Laffitte, 1990. — Notice Ernest Prados, in Dictionnaire international des militants anarchistes . — État-civil.
Jean TARDITO
Auteur : Gérard Leidet
Né le 19 décembre 1933 à La Ciotat (Bouches-du-Rhône) ; militant syndicaliste (SNI puis SNI-PEGC) ; militant communiste ; conseiller général du Canton d’Aubagne (1976-1988) ; maire d’Aubagne (1987-2001) ; député de la 9e circonscription des Bouches-du-Rhône (1988-1998).
Jean Tardito était l’aîné d’une famille de quatre enfants. Son père, Joseph Tardito, né le 24 février 1906 à La Ciotat, était menuisier ; sa mère, Thérèse Daumas, née le 11 juin 1907 à La Ciotat également, commise lors de sa naissance, devint aide-soignante à l’hôpital de la commune. Ses parents étaient adhérents à la CGT. Après avoir fréquenté l’école communale de La Ciotat puis de Martigues, il termina ses études primaires à l’école d’Etagnac (Charente). Après la guerre, entre 1945 et 1947, il poursuivit sa scolarité au collège de Chasseneuil-sur-Bonnieure (Charente) avant de rejoindre, pour deux nouvelles années, le cours complémentaire de La Ciotat (1947-1949). Jean Tardito entra alors à l’École normale d’instituteurs d’Aix-en-Provence en octobre 1949 (promotion 1949-1953) ; il y côtoya notamment Georges Thorrand. A la rentrée d’octobre 1952, en quatrième année, stagiaire, il commença des études à la Faculté des Sciences de Marseille. Nommé instituteur en 1953, d’abord à l’école de La Bouilladisse, il enseigna à l’école de Camp-major d’Aubagne à son retour du service militaire, effectué en pleine guerre d’Algérie durant trente mois (septembre 1954-mars 1957). Il retourna ensuite, en 1963, à l’université pour y terminer sa licence es-sciences, alors qu’il était toujours en activité en poste à l’école de Camp major. Il devint un peu plus tard professeur d’enseignement général de collège (PEGC), après avoir obtenu le CAP-CEG en 1965, puis professeur certifié avec l’obtention du CAPES interne prolongeant sa licence. Il enseignait alors au collège Joliot-Curie d’Aubagne qu’il ne devait quitter qu’à la rentrée scolaire 1987, l’année même de son premier mandat de maire de la commune.
Jean Tardito adhéra, dès son entrée à l’ENI d’Aix, au Syndicat national des instituteurs. Il fit partie de la commission des Jeunes dans laquelle figuraient également Roger Meï et Georges Thorrand qui suivirent un itinéraire militant identique au sien en rejoignant le Parti communiste français puis en étant élus plus tard, respectivement, maires communistes de Gardanne (1977, mandat toujours en cours en 2015) et de Miramas (1977-1989 puis 1995-2001). Il fut tout au long de son parcours d’instituteur membre du conseil syndical de la section départementale du SNI, puis membre du comité départemental de la Fédération de l’Education nationale. Des militants instituteurs de cette période le marquèrent durablement, parmi lesquels Alfred Bizot, Gabriel Vialle, Jean Briand, Marius Giraud…
Sportif pratiquant, Jean Tardito fréquenta l’Union Athlétique de la Vallée de l’Huveaune et le Ski club d’Aubagne. Sur le plan associatif toujours, il eut des responsabilités au bureau de la Maison des jeunes d’Aubagne et à celui de l’Office du tourisme.
Au contact de « militants remarquables », ses convictions politiques s’étaient affirmées et en 1959 Jean Tardito adhéra au PCF. Georges Lazzarino, Roger Donadio, Guy Hermier et Edmond Garcin l’influencèrent durablement. Tardito suivit au début des années 1960 les écoles de formation du Parti : des sessions de trois jours (au niveau de la cellule de quartier) à une semaine (au niveau de la section locale). Il fut par la suite, pendant plusieurs décennies, membre de la section locale du PCF et ce jusqu’en 2014.
En 1965, Jean Tardito fut élu conseiller municipal. Trois listes étaient en présence : “Liste d’Union Républicaine pour Aubagne et son Avenir“ présentée par le PCF (animée par Edmond Garcin, l’historien Lucien Grimaud et Jean Boireaud), “Liste d’Union Républicaine d’Action Sociale et de défense des Intérêts Communaux“ (présentée par l’avocat Yves Chouquet, maire sortant sans étiquette) et la “Liste d’Union Socialiste pour la Défense et l’Expansion d’Aubagne“ (autour d’Henri Gevaudan, candidat de la SFIO). Le 21 mars 1965, Edmond Garcin était élu maire d’Aubagne. Jean Tardito devint très vite son adjoint. Garcin, réélu en mars 1983, présenta sa démission en cours de mandat, le 12 février 1987 ; le conseil municipal procéda à l’élection d’un nouveau maire, Jean Tardito qui succédait ainsi à celui qui représentait l’autorité municipale depuis plus de vingt années. Il fut réélu maire d’Aubagne aux élections de 1989, 1995 et 2001. A ce titre il présida des syndicats intercommunaux, ainsi que des sociétés d’économie mixte, le conseil d’administration du Centre hospitalier d’Aubagne et la mission locale d’insertion des jeunes. Après son élection, les élus aubagnais ne suivirent pas les consignes du Parti et de l’Association nationale des élus communistes et républicains, pour des raisons largement économiques (niveau des dotations d’État et possibilité de développer la Zone industrielle des Paluds). Il s’agissait alors de créer la Communauté de villes “Garlaban-Huveaune- Sainte Baume“ (GHB) qui eut la singularité de regrouper alors cinq communes dirigées par des maires communistes (Aubagne, Auriol, Roquevaire, La Penne-sur-Huveaune et Cuges-les-Pins (sans continuité territoriale) auxquelles viendra s’adjoindre rapidement Saint-Zacharie. La nouvelle Communauté d’agglomération, l’ “Agglo-Pays d’Aubagne et de l’Etoile“ englobera ensuite GHB et la Communauté de communes de “l’Estello et du Merlancon“ (sauf Gréasque). Sous la présidence de Tardito, l’intercommunalité aubagnaise développa quatre domaines exemplaires : les transports, l’agriculture péri-urbaine, la rénovation des noyaux villageois anciens et la démocratie participative.
Entre 1965 et 2008, Jean Tardito représenta la commune d’Aubagne au Syndicat intercommunal de l’Huveaune, qu’il présida de 1971 à 2008. Le but de cet organisme de coopération était de mettre en œuvre des travaux de prévention et de lutte contre les inondations catastrophiques de « ce fleuve côtier capricieux » (qui prend sa source dans le massif de la Sainte-Baume et se jette à Marseille dans la Méditerranée). Ce syndicat regroupait les communes de Marseille, La Penne-sur-Huveaune, et Aubagne. Elargi plus tard à toutes les communes riveraines, il s’attacha à promouvoir la reconquête des berges en direction des loisirs, de la mise en valeur des paysages et de l’environnement.
Jean Tardito devint conseiller général (1976-1988) puis fut élu député de la 9eme circonscription des Bouches-du-Rhône le 12 juin 1988, après avoir affronté, et battu au second tour, le représentant du Front national Ronald Perdomo. Il siégea alors à la Commission des finances de l’Assemblée nationale et au Conseil national des missions locales. Réélu dans cette fonction le 28 mars 1993 et le 1er juin 1997, il annonça le 16 juillet 1998 qu’il remettait son mandat de député des Bouches-du-Rhône afin de se consacrer pleinement à son mandat de maire d’Aubagne. Âgé alors de soixante-quatre ans, Jean Tardito, qui avait été élu pour un troisième mandat en 1997, expliqua qu’il entendait anticiper « dans l’esprit » la future loi sur le cumul des mandats. Une élection législative partielle eut lieu fin septembre au cours de laquelle, Alain Belviso , candidat du PCF, lui succéda pour peu de temps (27 septembre 1998-3 février 1999), avant que la circonscription n’échut à Bernard Deflesselles, candidat UDF-DL.
En septembre 2001, son premier adjoint, Daniel Fontaine, instituteur et membre du PCF qui lui succéda comme maire d’Aubagne, Tardito demeurant néanmoins conseiller municipal jusqu’en 2008. Durant ces années de mandats électifs, il eut comme objectif permanent d’impulser, avec ses équipes successives, le développement économique et urbain, la pérennité de l’agriculture péri-urbaine, la protection des paysages et la mise en valeur du patrimoine culturel et humain : « Avec le souci constant, disait-il, de la place de chacun(e) dans un environnement de progrès humain au sein d’une société équilibrée et pacifique », comme l’indiquent toujours les panneaux d’entrée de ville, “Aubagne ville de paix“, symbole du travail d’éducation à la paix menée dans la commune depuis les années 1980.
En 2015, Jean Tardito était toujours membre de la section départementale du SNUIPP13 et du PCF. Il résidait à Aubagne, route de Lascours. Il avait été nommé Chevalier de la Légion d’honneur en 2002. Il se maria le 15 septembre 1956 à La Ciotat avec Renée Vachier (née le 15 février 1936 à Souvigné, Deux-Sèvres), officier dans l’ordre des palmes académiques. Le couple eut deux filles.
SOURCES : Arch. com. Aubagne. — Archives de la Fédération des Bouches-du-Rhône du PCF. — Bulletin du syndicat des institutrices et instituteurs des Bouches-du-Rhône, année 1959. –– Les Echos, 16 juillet 1998. — Réponses au questionnaire du militant, 2 février 2015 et 20 mars 2015. — Entretien avec le militant, mars 2015. — Notes de Patrick Magro. — DBMOMS, Notice Edmond Garcin. — Témoignage de sa fille, Marie Christine Suzan, le 14 janvier 2019. Pour citer cet article : http://maitron-en-ligne.univ-paris1.fr/spip.php?article173358, notice TARDITO Jean, Michel par Gérard Leidet, version mise en ligne le 29 mai 2015, dernière modification le 2 février 2019.
Jules Gautier
Auteur : Gérard Leidet
Instituteur à Marseille, syndicaliste, trésorier (1924-1926) puis secrétaire général de la section des Bouches-du-Rhône du Syndicat national des institutrices et instituteurs publics de France et des colonies (1927-1928).
Jules Gautier était instituteur à Marseille à l'école de la rue du Docteur Escat (6e arrondissement); il habitait alors Boulevard Vauban, puis résidait plus tard au 64 Boulevard Louvain (dans le quartier du Rouet, 8e arrondissement).
En 1924, il était trésorier de la section des Bouches-du-Rhône du Syndicat national des instituteurs (SN), aidé dans cette tâche par Mme Darbon, vice-trésorière, institutrice à Saint-Pierre; le secrétaire de la section étant Bernard Varèse.
Jules Gautier fut élu secrétaire général de la section des Bouches-du-Rhône du SN lors de la séance du conseil syndical du 17 novembre 1927. Il succéda alors à Juliane Labrosse. Sur proposition de Aillaud, membre du conseil syndical, deux secrétaires adjoints complétaient le bureau: Bernard (instituteur à l'école Arenc-Bachas) et Dollo (école des Catalans).
En novembre 1927, Jules Gautier rendit compte du rapport relatif aux manuels bellicistes dont le texte avait été établi le 10 octobre 1927 par Georges Lapierre- (membre de la commission permanente du SN, secrétaire adjoint de la Fédération internationale des associations d’instituteurs) et Louis Roussel (secrétaire général du SN). Il rappelait que l'action contre les manuels bellicistes continuait, les 26 manuels indiqués aux bulletins de mai et juin 1926 demeurant proscrits. En effet, les modalités d'actions préconisées par le congrès de 1926, et précisées par la commission permanente restaient valables selon trois cas de figures ainsi déclinées:
- Dans les départements où il existait une liste départementale, il fallait agir dans les conférences pédagogiques cantonales et au comité départemental pour obtenir les radiations.
- Dans les départements où la liste était en voie d'établissement, il fallait intervenir pour qu'aucun livre n'y figure.
- Dans les départements où la liste n'existait pas, le boycottage était préconisé.
Dans tous les cas, quels que soient les résultats d'ensemble obtenus, les instituteurs devaient, selon Jules Gautier, approuvé par le bureau départemental, cesser d'utiliser les livres incriminés.
En janvier 1928, Jules Gautier présenta au bureau départemental le bilan de l'année écoulée concernant la question des traitements. La commission Martin réunie le 16 novembre 1927 avait tranché en faveur d'une prime de 16 00 francs de rattrapage pour les instituteurs (comme pour les vérificateurs des indirectes et les postiers), et validé les promotions égales. Le ministère avait donc abandonné l' application des échelles - prévues en juillet - qui auraient créé, selon Jules Gautier, des promotions inégales plus élevées au sommet qu'à la base : "Tant mieux, s'écria-t-il, la justice le réclamait ! ". Pour autant, l'action n'était pas terminée; il fallait obtenir la parité de l'avancement: " Grâce au syndicalisme, nous l'aurons...", ajouta-t-il. Tout en ne niant pas l'importance des résultats acquis, il aurait souhaité "plus et mieux pour les jeunes, surtout. ". Il termina ce bilan en rappelant la critique, certes mesurée, des dirigeants nationaux par le bureau départemental en juin 1927, mais en rendant hommage n fine à Louis Roussel et Emile Glay, secrétaire général adjoint du syndicat national des instituteurs, "pour l'énergie qu'ils ont mise à nous défendre ces mois derniers.".
Lors du Conseil syndical du 12 janvier 1928, Jules Gautier évoqua "L' affaire de l'orphelinat". Au cours de la discussion sur la situation de l'école annexée à l'orphelinat, le Conseil fut unanime pour blâmer l'attitude d'un élu "se disant ami de l'école laïque" et agissant contre le personnel enseignant. Par ailleurs, la question de l'admission des élèves ayant plus de 13 ans étant délicate, Jules Gautier fit partie (avec Juliane Labrosse, Ailllaud, Bernard, et Victor Gourdon) de la commission spéciale chargée d'étudier ce dossier. Il regretta, avec Victor Gourdon, que l'administration ait agi brusquement, sans mener d'enquête, contre une décision du Conseil des maîtres. Il fit enfin valider l'achat par la section départementale de trois publications du discours-programme de la CGT par Léon Jouhaux; puis adopter le principe d'une commission intersyndicale (avec le Syndicat de l'enseignement laïque - CGTU) sur la question du logement des instituteurs à Marseille.
Sur ce dernier point, Jules Gautier menait la délégation qui rendit visite au Préfet des Bouches-du-Rhône le 16 février 1928. Dans un courrier ultérieur de la commission du logement à Mr Le Préfet, il exprima une demande largement partagée dans la profession : l'indemnité de logement allouée aux instituteurs à Marseille était bien insuffisante pour leur permettre de se loger. En s'appuyant sur les critères du décret du 25 octobre 1894, il rappela que l'indemnité de logement (900 francs par an pour un instituteur célibataire; 1125 francs pour un instituteur marié) était largement insuffisante pour trouver un logement de quatre pièces dans la cité Phocéenne - ou un deux pièces pour un célibataire.
Conformément aux décisions de l'Assemblée générale de la section des Bouches-du-Rhône du 14 juin 1928, il écrivit un courrier aux élus du département leur demandant de ne plus "recommander à la bienveillance " des inspecteurs primaires, ou à Mr l'Inspecteur d'académie, les collègues instituteurs qui pouvaient d'adresser à eux. Le droit réclamé par ces derniers ne pouvant ici être légitimement observé que par l'entremise du syndicat. Il ajouta qu'il ne fallait voir dans cette démarche aucun sentiment de défiance à l'égard des élus concernés. Sollicités sur cette question du favoritisme, les élus - Sixte-Quenin, Henri Tasso, Députés socialistes des Bouches-du-Rhône, et Elisée Petit (Conseiller Général socialiste des Bouches-du-Rhône, adjoint au maire de Marseille), répondirent très favorablement à la lettre de Jules Gautier.
A la fin août 1928, Jules Gautier présenta le rapport moral de la section des Bouches-du-Rhône. Le poste de secrétaire général étant devenu, selon lui, trop absorbant malgré l'appoint des secrétaires adjoints, il mit un terme à son mandat de secrétaire général. Il évoqua la question de la collaboration avec l'administration, effectuée "en toute loyauté, en toute franchise et avec fermeté"; c'était là un point de dissension avec le SMEL (CGTU), assez méfiant vis à vis des rapports avec l'Inspection académique. Il insista sur les rapports étroits et réguliers avec le monde ouvrier grâce aux liens établis par les représentants du SN (Bernard Varèse, Victor Gourdon et Ch. Main) à la Bourse du travail à travers la commission administrative et la commission de contrôle, l'Union départementale, l'Union locale, et les cours professionnels. La question des effectifs, en hausse de 150 entre octobre 1927 et octobre 1928 (pour un total de 1200 adhérents), lui fit dire que c'était-là autant de pris "sur cette armée de sauvages, vivant dans un égoïsme mesquin", visant ainsi les instituteurs qui demeuraient en dehors des syndicats "gardiens et défenseurs de nos intérêts matériels et moraux". Au-delà de cette dynamique en termes d'adhésions, il souhaitait une participation effective de tous à l'activité syndicale.
Jules Gautier conclut son rapport par ces mots empreints d'un certain humanisme: "Je souhaite à notre belle section toujours grandissante une vie de plus en plus active, des efforts constants vers le mieux, vers cet idéal de justice et de bonté qui est celui de tous. Ma tâche est terminée; je me retire la conscience satisfaite d'avoir accompli mon devoir du mieux que je pouvais."
Lors du Conseil syndical du 25 octobre, il fut remplacé dans sa fonction de secrétaire général par César Durand*, ancien trésorier adjoint, et instituteur à Marseille dans le quartier du vallon des Auffes (7e arrondissement).
Isidore Gautier.
Auteur : Gérard Leidet
Né le 11 août 1907 à La Bouilladisse (Bouches-du-Rhône); mort à La Bouilladisse le 31 mars 1999; forgeron, mécanicien en cycles puis mineur; syndicaliste (CGTU puis CGT), militant communiste; Président de la Délégation spéciale (1944) puis maire de La Bouilladisse (1945-1971); Conseiller général du canton de Roquevaire (1957-1976).
Son père, Edmond Gautier était ouvrier-menuisier à La Bouilladisse, village provençal situé entre Aix-en-Provence et Aubagne. Isidore Gautier fréquenta l'école communale du village jusqu'à l'obtention du Certificat d'études primaires (CEP), puis le cours complémentaire de Roquevaire, village voisin de La Bouilladisse pendant deux années. A l'âge de 15 ans, il entra en apprentissage chez l'artisan forgeron du village qui faisait également office d'atelier de cycles. Isidore Gautier s'initia alors à ces deux métiers, forgeron et mécanicien en cycles. En 1926 il entra à la mine, grande pourvoyeuse d'emplois dans cette période pour les jeunes ouvriers du canton de Roquevaire, au puits Hély-d'Oissel situé à Gréasque au coeur du Bassin minier de Fuveau-Gardanne. Très intéressé par les questions sociales, il milita rapidement au sein de la CGT-U auprès de militants très chevronnés tels Alfred Bousquet, Louis Julien, César Poucel, Jean Torre...
Alors que s’éveillait sa conscience politique, est-ce la visite de François Billoux en 1935 à La Bouilladisse qui devait inciter Isidore Gautier à adhérer au Parti communiste en 1935 dans l’élan du Front populaire, ou bien était-il déjà membre du Parti? Toujours est-il qu'il fut de ceux, avec Marius Pélissier (le père de Francis Pélissier) qui créèrent puis animèrent la cellule locale du PCF dans la foulée de leur rencontre avec François Billoux. Il militait alors auprès de Léon David ouvrier-forgeron comme lui, secrétaire de la cellule de Roquevaire, le village voisin, entre 1925 et 1940, puis du rayon minier du bassin de Roquevaire à partir de 1926, et qui était alors une des figures marquantes du militantisme communiste dans le canton.
Isidore Gautier anima par la suite de nombreuses grèves parmi les mineurs et participa en 1935, à la marche de la faim des mineurs des bassins de Roquevaire et de Gardanne sur Marseille, en compagnie notamment de Polyeucte Négrel, maire de La Destrousse, l'autre village voisin de la Bouilladisse. Dès le 27 octobre 1935, les sections syndicales CGT et CGT-U de Biver-Gardanne fusionnèrent; il en fut de même à Meyreuil début novembre et à Gréasque le 1er décembre. Isidore Gautier fut très actif lors de ces processus de réunification. A ce titre, il fit partie de la délégation de son syndicat qui se rendit au congrès départemental de fusion qui eut lieu les 4 et 5 janvier 1936, quelques semaines avant le congrès national d'Albi où furent actées les retrouvailles nationales entre "unitaires" (CGT-U) et confédérés (CGT). Après la réunification syndicale, il devint membre de la fédération des mineurs CGT des Bouches-du-Rhône. Elu délégué suppléant, il fit partie des délégations suivantes - devenues notamment en partie "clandestines" pendant l'occupation - jusqu'en 1944.
Nommé Président de la Commission spéciale chargée d'administrer la commune de La Bouilladisse le 22 septembre 1944, Isidore Gautier fut élu maire de la Commune lors des premières élections municipales de l'après-guerre, le 6 mai 1945, succédant alors à la longue mandature de Nicolas Négrel (1922-1944). Il allait demeurer à ce poste jusqu'en 1971, constamment réélu lors des scrutins suivants: 26 octobre 1947, 10 mai 1953, 15 mai 1959, et 21 mars 1965. [Francis Pélissier->146312], Premier adjoint depuis 1969, devait lui succéder lors des élections municipales de mars 1971.
Lors de la deuxième vague de grèves (1947-1948), celle de 1948, Isidore Gautier se retrouva, comme militant syndicaliste et maire communiste, au centre du conflit social. Le gouvernement Henri Queuille avait décidé de réduire les effectifs des houillères de 10% et de sortir les accidents du travail. La publication, le 18 septembre, des décrets Lacoste, ministre de l'Industrie, décida la CGT du sous-sol à formuler le 23 septembre ses propres revendications: abrogation des décrets, mise en place d'une échelle mobile des salaires pour lutter contre la forte inflation qui sévissait depuis le début de l'année, revalorisation des retraites. Le recours à la grève, effectif dès le 4 octobre allait se heurter à une série de mesures exceptionnelles mises en oeuvre par Jules Moch et visant à briser une grève qualifiée d'insurrectionnelle. A ce titre, le gouvernement rappela 30 000 hommes de la classe 1947 pour appliquer la stratégie de "dégagement des puits". Dans le Bassin minier de Provence, la troupe investit les cités minières, en particulier celle de Biver (hameau de Gardanne) et dès le 7 octobre, elle occupa le carreau de Gréasque. S'il n' y eut pas d'affrontements significatifs (comme à Merlebach ou Firminy), l'épisode le plus tendu eut lieu à La Bouilladisse, dans le quartier de Bigaron, où le pire fut cependant évité grace à l'intervention d'Isidore Gautier. En effet, il dut s'interposer entre les manifestants grévistes accompagnés de leurs femmes, le car qui amenait les "jaunes" au poste de travail et la compagnie de CRS dépêchée sur place. Devant la tension palpable qui se faisait jour, il parvint à se poser en arbitre. Lorsqu'il s'approcha pour parler au chef du détachement,les fusils se croisèrent devant lui. Peu après, ceint de son écharpe de maire, on le laissa enfin passer. C'est un capitaine qui le reçut. En sa qualité d'officier de police Isidore Gautier lui rappela que la charge ne pouvait être ordonnée que s'il avait lui-même effectué les sommations à la foule. Le car pénétra sur le carreau de la mine et les huées se firent entendre longuement. Cet épisode lui valut néanmoins, le 28 octobre 1948, une suspension de huit jours de ses fonctions de maire prononcée par le Préfet des Bouches-du-Rhône, le Préfet Bayot. Ce dernier suspendit pour un mois le maire de Cadolive (cité minière voisine) Honoré Maroc, pour avoir "refusé de faire appliquer l'arrêté préfectoral interdisant les réunions publiques et privées sur le territoire de sa commune".
Dans le prolongement de ses mandats de maire, Isidore Gautier fut élu Conseiller Général des Bouches-du-Rhône dans le canton de Roquevaire en 1957 (élu au premier tour); et 1958. Il fut ensuite réélu dans ces fonctions, toujours dès le premier tour, lors des scrutins de 1964 et 1970.
Maire de La Bouilladisse durant près de trois décennies, il eut l'occasion d'impulser de nombreux projets visant à l'amélioration de la vie quotidienne des habitants de sa commune : école primaire [Jacques Santucci-172589], extension du réseau d'eau potable, création des transports et de la cantine scolaires, du corps de sapeurs-pompiers, d'un centre de colonies de vacances pour les enfants du village à Thard.
En mars 1976, Isidore Gautier abandonnait ses dernières fonctions électives au Conseil général; Francis Pelissier lui succéda à nouveau à ce poste. Avec Victor Savine, Roger Tassy, et Francis Pélissier, il fit partie des quatre seuls élus ayant appartenu aux Houillères de Provence à avoir siégé dans cette assemblée départementale depuis sa création.
L'école maternelle de La Bouilladisse porte le nom d'Isidore Gautier.
Gérard Leidet
SOURCE:
Archives communales de La Bouilladisse. — Archives de la Fédération des Bouches-du-Rhône du Parti communiste français — {"L'etincelle rouge du Bassin minier", bulletin édité par les sections du PCF du Bassin minier.} -- {Gérard Pio, Mines & mineurs de Provence, Ed. Clair obscur, Aix-en-Provence, 1984.}. -- {Xavier Daumalin, Jean Domenichino, Philippe Mioche et Olivier Ravaux, Gueules noires de Provence, Le bassin minier des Bouches-du-Rhône (1744-2003), Ed. Jeanne Lafitte, Marseille, 2005.} -- {Francis Pélissier, La preuve par neuf, Aubagne, Editions Groupe CCEE, 2002; Témoin de l'obscurité, La Bouilladisse, 2017.} -- Notes de Francis Pélissier, novembre 2018.
Jeanne FÉRAUD.
Auteur : Gérard Leidet
Institutrice à Marseille. Syndicaliste, militante de la Fédération nationale des syndicats d'instituteurs (1915-1918), de la Fédération des syndicats des membres de l'enseignement laïque (1919-1922), puis du "syndicat général" de l'enseignement (1923-1926), enfin du syndicat national des Institutrices et des instituteurs (1926-1934); conseillère départementale de l'enseignement (1923-1926) et (1929-1932); membre du bureau du SN (secrétaire administratif); morte à Marseille le 16 juin 1934.
Jeanne Féraud était institutrice à Marseille à l'école maternelle de la Blancarde (4eme arrondissement), puis à celle du Boulevard Vauban (6eme arrondissement).
C'est durant la Grande Guerre qu'elle commença à militer, au sein de la Fédération nationale des syndicats d'instituteurs (FNSI), aux côtés de militants très expérimentés tels Ismaël Audoye-, Antoine Ripert, Louis Lafosse et Emmanuel Triaire. En compagnie de ces derniers, elle faisait partie de ce petit groupe de militants qui, dans le "déchaînement des passions chauvines" (Marcel Babau), s'efforça de maintenir au sein du mouvement syndical les traditions de pacifisme et d'internationalisme. Déployant une immense activité dans tous les domaines de la réflexion et de l'action syndicales, elle n'allait cesser de militer d'abord au sein de la Fédération nationale des syndicat d'instituteurs (FNSI), puis au "syndicat général" de l'enseignement (SGE) des Bouches-du-Rhône avant de rejoindre le syndicat national des institutrices et instituteurs (SN) au milieu des années 1920. En fait, son parcours militant fut inséparable de l'histoire des premiers temps du syndicalisme enseignant dans les Bouches-du-Rhône.
En 1919, Jeanne Féraud militait donc au syndicat des institutrices et instituteurs au sein de la Fédération nationale des syndicats d'instituteurs (FNSI, créée en 1905), laquelle devait changer de nom à partir du mois d'août pour devenir, en s'élargissant aux autres ordres d'enseignement, la Fédération des syndicats des membres de l'enseignement laïque (FSMEL). Elle succéda alors à Bertin Ollivier comme gérante du "Bulletin mensuel de l'Emancipation. Syndicat des institutrices et des instituteurs publics des Bouches-du-Rhône", Emmanuel Triaire demeurant alors responsable de la rédaction. Elle fut remplacée peu après dans cette tâche par J. Chauvet, Ismaël Audoye et J. Aubert qui se partagèrent la gérance et la responsabilité du bulletin entre 1920 et 1926.
Jeanne Féraud participa à toutes les luttes syndicales de l'immédiat après-guerre, notamment lors de la grève du 1er mai 1920 avec une "poignée d'instituteurs" emmenée par Ismaël Audoye. Dans les périodes de conflits sociaux, elle fit preuve d'énergie et n'hésitait pas dans les assemblées corporatives à monter à la tribune pour entraîner le personnel, notamment les institutrices, à l'action syndicale.
En 1922, Jeanne Féraud fit le choix de militer au sein du Syndicat général de l’enseignement des Bouches-du-Rhône, organisation de 500 instituteurs syndicalistes « dissidents » qui n’acceptaient pas la scission entre la CGT et la CGTU, entre le Syndicat national (SN, 75 000 membres) et le Syndicat des membres de l’enseignement laïque (SMEL, 6000 membres) qu’ils refusaient de rejoindre. Le SGE, brève tentative de "Syndicat départemental" issu de la fusion du SN et du SMEL (souvent désigné comme « Fédération Gourdon -Vielmas »), prônait une autonomie « provisoire » en attendant la réunification syndicale. Ce « syndicat général » parvint à regrouper pendant près de deux ans (jusqu’en janvier 1924) les membres des deux syndicats, SN et SMEL, qui participaient, par leurs délégués, aux congrès de leurs fédérations respectives. Entre 1924 et 1926, n'étant plus affilié à aucune fédération, le S.G. représentait désormais, selon les propos de Bernard Varèse-, secrétaire général du S.N., "La voix de la dissidence"...
Ses qualités de militante la désignèrent tout naturellement dans des fonctions de représentation du personnel. Jeanne Féraud fut ainsi, à deux reprises, désignée comme conseillère départementale: déléguée du "Syndicat général" (1923-1926), puis du Syndicat national (1929-1932) qu'elle rejoignit au milieu des années 1920, succédant alors à Mme Leschi, institutrice à l'école maternelle de Menpenti. En janvier 1925, c'est elle qui écrivit une lettre en tant que conseillère départementale et porte-parole des trois conseils syndicaux, dans laquelle elle protestait contre l'organisation de conférences pédagogiques programmées le jeudi 6 novembre 1924. Elle émettait le vœu, largement partagé dans la profession, que l’on revienne « à la coutume » qui, dans les Bouches-du-Rhône, avait toujours fixé ces conférences un jour de classe.
Lors de l’assemblée générale du 11 mars 1926, Bernard Varèse, secrétaire de la section des Bouches-du-Rhône du syndicat national des instituteurs (SN) rendit compte des négociations menées avec le Syndicat général (SG), lesquelles avaient abouti à un référendum se concluant en faveur de l’adhésion du SG au SN. Jeanne Féraud fit partie des dix nouveaux membres du conseil syndical du SN issus du SG, en compagnie de Mme Arnaud (Aix), Finiels (Salon); Juliane Labrosse, Angélini, Daumas, Victor Gourdon, Giudicelli, Taupenot, et Vielmas (Marseille). La « fusion » souhaitée par bien des militants dans les Bouches-du Rhône devenait en partie effective, mais bien partielle : la Fédération des syndicats des membres de l'enseignement laïque (FSMEL) avait rejoint la CGTU naissante en avril 1922 et le SN avait adhéré à la CGT, en 1925. Or ce qui dominait dans l'engagement syndical de Jeanne Féraud ce fut aussi son action en faveur de l'unité. Si elle ne fut pas toujours d'accord avec les militants du SN sur les moyens de réaliser l'unité avec le syndicat de l'enseignement laïque (S.M.E.L.- CGTU), elle oeuvra à maintes reprises à "l'union dans le personnel" en privilégiant, lorsque c'était possible, l'unité d'action avec ses collègues du S.M.E.L. au sein du Conseil départemental.
Lors des élections au conseil départemental du 23 avril 1929, sur quatre sièges, trois revinrent aux délégués du S.N. Jeanne Féraud fut élue avec 797 voix, en compagnie de Mme Nevière (691 voix) et Jules Gautier (302 voix), alors que César Durand* (283 voix), secrétaire général de la section départementale était battu par le candidat du S.M.E.L, Edouard Labeillle (300 voix). Elle demeura dans cette fonction de Conseillère départementale jusqu'en juillet 1932, date à laquelle elle fut remplacée par Marthe Rigaud, institutrice à l'école de filles de la rue Pommier.
Influencée par les idées de Pauline Kergomard (pédagogue, créatrice des écoles maternelles), très investie dans la vie de l'école autour des questions corporatives et pédagogiques (elle devint très vite secrétaire adjointe de la section pédagogique du S. N), Jeanne Féraud s'attacha singulièrement au coeur des années 1920 à la défense des écoles maternelles, permettant ainsi aux écoles marseillaises et du département de bénéficier d'améliorations notoires en termes de fournitures et de matériel scolaire. Exerçant dans un quartier où il fallait lutter contre la concurrence de l'école privée, elle dut s'imposer en s'opposant à la tendance conservatrice de certaines enseignantes qui voulaient faire de ces écoles, exclusivement, des lieux d'instruction. Elle souhaitait, quant à elle, favoriser davantage le développement naturel de l'enfant, et elle citait, en appui de ses choix pédagogiques, les propos de Pauline Kergomard: " Il est essentiel de connaître la nature de l'enfant, ses besoins, ses aptitudes, ses possibilités et, ces quatre séries bien établies, de les modifier à mesure que l'enfant se développe...". Lectrice de publications devenues des classiques (L'ami de l'enfance, animé dans les deux dernières décennies du XIXe siècle par Pauline Kergomard; Enfance, ouvrage paru aux PUF), membre de l'Association générale des institutrices de maternelle (AGIEM) aux lendemains de sa création en 1921, elle compléta sa formation "permanente" d'institutrice de maternelle en étant abonnée aux revues spécialisées telles que L'Education enfantine, créée en 1925 par Fernand Nathan, éditeur très innovant, et à L'Ecole maternelle française (passée des éditions Bougerolles aux éditions Bourrelier-Colin).
En avril 1930, elle rendit compte dans le "bulletin mensuel de la section des Bouches-du-Rhône du SN" de la réunion du comité de gestion et de perfectionnement des écoles maternelles qui s'était tenu le 31 mars 1930 sous la présidence de l'Inspecteur d'Académie. Elle s'impliqua alors très fortement dans le projet de règlement concernant les femmes de service des écoles maternelles et des classes enfantines du département. Ce document comprenait une douzaine d'articles permettant, notamment, une meilleure articulation entre les tâches quotidiennes de ces personnels et les cinq journées hebdomadaires d'enseignement effectuées par les institutrices et leurs jeunes élèves.
Jeanne Féraud ne bornait pas exclusivement son engagement en direction de l'école et du syndicalisme. Marquée dès sa jeunesse par les idées et les lectures des chroniques de Marguerite Durand et de Séverine - fondatrices en 1897 du journal "La Fronde" qui diffusait un discours féministe - elle s'investit également dans les groupements féministes. Elle suivait par ailleurs de très près l'action pour la paix menée par les organisations pacifistes. A ce titre, elle s'efforça, au sein du S.N, de privilégier les relations qui allaient se nouer entre le mouvement contre la guerre, et le fascisme (Mouvement Amsterdam-Pleyel créé en juin 1933 à l'initiative d' Henri Barbusse et Romain Rolland-), et le mouvement syndical.
Membre de la commission de défense laïque du S. N depuis 1929, préoccupée par l'activité des oeuvres religieuses visant à "accaparer" les orphelines, nombreuses dans l"après Première guerre mondiale, Jeanne Féraud prit la direction du comité pour la création d'un orphelinat laïque de filles. Elle avait été très déçue par la mise en oeuvre de l'orphelinat laïque de garçons, aussi elle multiplia dès le mois d'avril 1930 interventions et démarches auprès des pouvoirs publics, des groupements politiques ou laïques (SFIO, Parti communiste, Ligue de l'enseignement, etc.), des syndicats (CGT, CGTU), en faveur de la mise en oeuvre de l'orphelinat. Elle n'eut pas le temps cependant de voir la réalisation de son projet qu'elle définissait comme "une oeuvre laïque pour nos filles"; mais l'inauguration, en octobre 1934, de l'école de plein air de Marseille, au sein de laquelle figurait un orphelinat de filles, vint concrétiser la tenacité et l'action vigilante dont fit preuve Jeanne Féraud dans le domaine de l'aide à l'enfance malheureuse.
SOURCE: {"Bulletin de la section des Bouches-du-Rhône du syndicat national des institutrices et instituteurs de France et des colonies"}, juin 1934. -- Notes de Marcel Babau (nécrologie) -- {"L'Emancipation. Bulletin du syndicat des institutrices et des instituteurs syndiqués et syndicalistes de la région du Sud-Est} (portant en sous-titre pour l'année 1919 : "Bulletin mensuel du syndicat des membres de l'enseignement des Bouches-du-Rhône et de la région Sud-Est") -- Jocelyne Prézeau, "Syndicats et organisations de masse. Le cas d'Amsterdam-Pleyel" (1932-1934) dans D. Tartakowski et F. Tétard (dir.), {Syndicats et associations, concurrence ou complémentarité?} Presses universitaires de Rennes. -- Denise Karnaouch, {La Presse corporative et syndicale des enseignants. Répertoire.} 1881-1940. – Paris : L’Harmattan, 2004. – Jean Vial, {L'école maternelle}, coll. "Que-sais-je?", PUF, 1983.
Michel VOVELLE
Auteurs : Françoise Brunel, Jacques Guilhaumou
Né le 6 février 1933 à Gallardon (Eure-et-Loir), mort le 6 octobre 2018 à Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône) ; normalien, agrégé d’histoire, professeur des universités, directeur de l’Institut d’histoire de la Révolution française ; syndicaliste du Snesup ; militant communiste.
MICHEL VOVELLE EN 1974
PHOTOGRAPHIE PRISE PAR LES JOURNALISTES DE L’HUMANITÉ, ÉDITION DU 16 JANVIER 2015.
Michel Vovelle naquit à Gallardon (Eure-et-Loir) près de Chartres, de Gaétan Vovelle et Lucienne Vovelle, instituteurs publics issus de l’École Normale, membres du Syndicat national et pionniers du mouvement Freinet. Gaétan Vovelle (1899-1969), s’était marié avec Lucienne Verdier, née le 1er octobre 1902 à Mainvilliers, le 10 août 1926 : ils eurent trois enfants, Pierre, Jean et Michel. Homme de gauche, il a été partisan de la « libre expression » selon divers moyens, dans son cas la musique. Au temps du Front Populaire et au sein de la Coopérative de l’enseignement laïc, directeur d’école à Gallardon, il anima le groupe d’éducation nouvelle d’Eure-et-Loir qui se maintint après-guerre. Son intelligence, son habilité et sa grande sagesse en font un humaniste : il publia beaucoup, notamment un ouvrage sur Les fossiles, généralités (1953) avec des dessins commentés. Il a été pionnier dans le domaine de la musique, mais aussi du cinéma, en tant que fondateur de la commission « Jeux et chants » et de la cinémathèque. On peut penser que Michel Vovelle a hérité, d’une telle culture familiale, un profond humanisme, et un plaisir certain à écrire.
Après avoir vécu à Chartres à partir de 1938 auprès de sa mère, directrice d’école et son père, instituteur de l’École de garçons du boulevard Chasles, Michel Vovelle fut élève à l’École Normale Supérieure de Saint-Cloud (reçu 1er en 1953), il obtint l’agrégation en 1956. Assistant (agrégé répétiteur) à l’École (1956-1958), il fut le premier « caïman littéraire », et marqua déjà la jeune génération des normaliens par son abord de l’histoire. En 1958, il fut appelé, pour 29 mois, au service militaire, dont 10 mois en Algérie. Communiste, son intérêt pour le marxisme se précisa par l’aide qu’il apporta à son ami Gilbert Moget dans la mise au point de la première traduction française de morceaux choisies de Gramsci (1959) aux Éditions sociales. Il entama une carrière universitaire comme assistant à la Faculté des Lettres d’Aix-en-Provence (actuelle université d’Aix-Marseille) en 1961. Mais, au cours de la décennie 1960, il connut des années très difficiles marquées par la maladie, puis la mort de son épouse, Gaby Vovelle, normalienne, assistante puis maître-assistante en littérature comparée. Militant syndical actif au Snesup au sein de la tendance « Unité et action syndicale », et élu syndical au sein du Conseil de la Faculté, il a été aussi membre de la cellule « Duclos » du PCF. Il était devenu maître-assistant avant d’y obtenir un poste de professeur (1972-1983), après avoir soutenu son doctorat d’État le 18 juin 1971 à l’Université Lyon II sur Piété baroque et déchristianisation en Provence au XVIIIe siècle devant un jury composé de MM. Richard Gascon (Lyon) président, André Latreille (Lyon) rapporteur, Pierre Chaunu (Paris) et Maurice Agulhon (Aix). Il a épousé en 1971 Monique Rebotier (1931-2008), professeure agrégée d’histoire-géographie au Lycée Vauvenargues d’Aix-en-Provence, après avoir été enseignante en classes préparatoires (géographie) au Lycée du Parc à Lyon : ils ont vécu dans leur maison aixoise de la Torse, ouverte aux jeunes chercheurs français et étrangers, avec leurs deux filles Claire et Sylvie. Enfin, il a occupé après 1968 des fonctions électives à l’Université de Provence : directeur de l’UER d’histoire, vice-président du conseil scientifique. Il militait à la Ligue des droits de l’homme et à l’Union rationaliste.
Professeur d’histoire de la Révolution française à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne (1983-1993), succédant à Albert Soboul décédé en septembre 1982, il prit ainsi la direction de l’Institut d’histoire de la Révolution française. Dans un tel cadre universitaire, il fut président de la Société d’histoire moderne (1989-1991), président de la Société des études robespierristes et de la commission Jaurès du CTHS, et président, à partir de 1985, de la Commission internationale d’histoire de la Révolution française.
Mais surtout Michel Vovelle entra dans « la bataille du bicentenaire », centre de son action pendant presque dix ans. Au lendemain de la victoire de François Mitterrand et de la gauche aux élections de mai-juin 1981, encore professeur à Aix-en-Provence, il fut chargé par le nouveau ministre de la Recherche, Jean-Pierre Chevènement, d’un Rapport sur le volet scientifique de la préparation sur le Bicentenaire de 1789. À ce titre, le ministre de la recherche a décidé de la constitution, sous l’égide du CNRS, d’une Commission de recherche historique pour le bicentenaire de la Révolution française. Michel Vovelle a réuni alors une commission composée de spécialistes, majoritairement, mais non exclusivement universitaires de sensibilités historiographiques diverses et en a pris le Secrétariat général, la Présidence revenant à son « maître », Ernest Labrousse (auquel il a succédé logiquement, au décès de ce dernier, en 1988). Des nombreuses et régulières réunions de cette Commission, sous la tutelle du CNRS, ont émergé un thème de recherche, « L’image de la Révolution française » et une fin, la réunion d’un Congrès Mondial à Paris, en juillet 1989. Pour mener à bien pareil projet, dans une conjoncture politique, mais aussi intellectuelle, fluctuante, voire conflictuelle (surtout durant la période dite de « cohabitation » , 1986-1988), Michel Vovelle, tout en assurant l’intégralité de son service d’enseignement (de la première année à la préparation de l’agrégation), la direction de nombreuses thèses et en poursuivant ses activités de chercheur, a adopté, ce qu’on peut appeler d’après l’une de ses expressions, « une ligne jacobino-républicaine ». C’est ainsi qu’il a parcouru et la France et le monde, parvenant ainsi à entraîner par sa force de persuasion intellectuelle et son enthousiasme, les principaux représentants mondiaux de l’historiographie révolutionnaire, comme le prouve le nombre impressionnant de participants au Congrès Mondial, réuni à la Sorbonne. En honorant l’ouverture du Congrès de sa présence, le Président de la République devait rendre un hommage appuyé à Michel Vovelle, d’autant plus qu’il a récusé l’idée d’un « catéchisme révolutionnaire » émise par « le courant critique » autour de François Furet. Le Président a déclaré ainsi que l’« on ne saurait faire l’histoire des seules obsessions du présent, par une démarche téléologique aux vertus plus polémiques que scientifiques ». Il a remis en personne à Michel Vovelle les insignes de chevalier de l’ordre de la Légion d’honneur à la fin de l’année 1989, également nommé, en 1993, officier de l’ordre du Mérite. Michel Vovelle a relaté ces dix années autour du bicentenaire dans La bataille du bicentenaire de la Révolution française (La Découverte, 2017).
Par ailleurs, il avait été élu à la section 41 du Comité national du CNRS (1983-1986) et à la tête de la section 22 du Comité national des universités CNU (1992-1993). Toujours membre, quoique « critique », du Parti communiste français, auquel il avait adhéré en 1956, à l’ENS, ses engagements se concrétisèrent par ses nombreuses participations à des conférences et des stages de formation politique et syndicale, en particulier à la FSU, et récemment autour d’un thème, « le réveil des Révolutions », avec les révolutions arabes. Il présida également la Société des amis de l’Humanité. Il a apporté sa contribution à la commission parlementaire sur les droits des malades et la fin de vie, et il a assuré pendant vingt ans un cours introductif aux soins palliatifs dans le centre de Villejuif.
Dès ses premiers travaux d’histoire sociale sur la Beauce, puis sur la Provence, Michel Vovelle a mené ses recherches sur le terrain des mentalités en proximité avec les travaux de Robert Mandrou, Georges Duby et Maurice Agulhon, il y a ajouté sa touche personnelle par un souci de totalisation historique, s’ouvrant ainsi à une dialectique du temps long et de l’événement qui rythme, d’une crise à l’autre, les représentations collectives à l’encontre de toute vision fixiste des structures sociales. Il s’est considéré alors, selon ses propres termes, comme un « historien de terrain, pragmatique, assumant une démarche de tradition positiviste pour répondre à son désir d’objectivité scientifique », tout en assumant ce qu’il a appelé d’une formule d’Ernest Labrousse une « préformation de sympathie » au titre d’un recours à une explication de type marxiste, inscrite dans un héritage jaurésien, et plus encore labroussien.
Son activité dans le département d’Histoire de l’université de Provence où se trouvaient des historiens réputés, Paul Veyne, Georges Duby, Maurice Agulhon, lui permit de prendre l’initiative de la création d’un Centre Méridional d’Histoire Sociale, des mentalités et des cultures (1974) qui tissa de nombreux liens interdisciplinaires (ethnologie, sociologie, linguistique, géographie, histoire de l’art) et internationaux (en particulier avec l’Italie). Plusieurs colloques sur les thèmes « Iconographie et histoire », « Histoire des mentalités, histoire des résistances ou les prisons de longue durée », « Les intermédiaires culturels », et enfin « L’événement » en 1983 ont ouvert à une jeune génération d’historien(ne)s toute une série de perspectives nouvelles. En fin de compte, son investissement durant sa période aixoise dans l’histoire de la Provence en partie élargie au Sud-Est, a été particulièrement fécond en promouvant un site exceptionnel d’expérimentation d’objets et de mise au point de méthodes de la « Nouvelle histoire ».
Cependant, un de ses chantiers les plus ambitieux a porté sur La mort et l’Occident de 1300 à nos jours(1983) : il a été le point d’aboutissement d’une série d’approches monographiques à partir d’archives écrites (Piété baroque) ou visuelles (Vision de la mort et de l’au-delà) pour le conduire à une ambitieuse synthèse. Le choix central d’une enquête multiséculaire sur les attitudes collectives à l’égard de la mort a signifié alors la mise en évidence d’un moment de vérité dans une société qui se fixe, évolue, et enfin se révolutionne en se déstructurant au profit d’un nouvel imaginaire collectif, les mentalités révolutionnaires. Sa démarche a combiné différents paramètres, socio-économiques, anthropologiques, démographiques, institutionnels, religieux, culturels etc. en les appréhendant dans leur interaction. Ainsi, Michel Vovelle nous a fait comprendre à la fois les comportements séculaires inscrits dans un temps immobile et la dynamique des crises associée à la pluralité des temps. Avec la mort et aussi la fête, il a scruté la vérité historique à travers la description d’attitudes, de gestes, de rituels aussi bien dans leur part consciente qu’inconsciente. Il en est venu aussi à s’intéresser, à l’égal de l’historien italien Carlo Ginzburg, aux études de cas, du parcours de Joseph Sec à celui de Théodore Desorgues, itinéraires totalisés, si l’on peut dire, dans son ouvrage sur Aix-en-Provence (Les folies d’Aix) par la mise en évidence du jeu complexe et fluide des images et des représentations qui sous-tendent de telles stratégies. D’un côté, l’itinéraire de Joseph Sec, maître menuisier jacobin et marchand, qui a laissé un monument allégorique, réalisé en 1792 à Aix-en-Provence et dédié à la ville « observatrice de la loi », et d’un autre côté, le trajet de Théodore Desorgues, « le poète de Robespierre », fils d’avocat, situent bien ce qui est au centre de l’œuvre de Michel Vovelle sur la Révolution française : l’étude des représentations symboliques, des stéréotypes, des processus d’individuation permettant d’accéder aux conditions de visibilité des processus révolutionnaires. Son ouvrage sur les sans-culottes marseillais rend ainsi visible le lien entre d’une part des différences sociales assez peu marquées entre sectionnaires jacobins et sectionnaires modérés et d’autre part des conflits politiques extrêmes, tout en démontant les mythes constitués autour de ces acteurs de la Révolution française.
L’auteur insiste de nouveau et avec justesse sur les micro-différences sociales qui peuvent produire des maxi-conflits le temps des tensions arrivé. Il démonte des légendes, faisant des bataillons de Marseillais des volontaires de sac et de corde, n’ayant eu d’autres mérites que de porter leurs mauvaises manières à Paris et provoquer la chute du roi.
Mais retenons surtout le moment où, une fois à Paris, il a proposé son œuvre majeure sous la forme d’un récit de la Révolution française en images (1986, 5 volumes) : il y a inventé une manière de « la laisser parler », si l’on peut dire, à partir de ses représentations iconographiques, donc sans en rajouter aux strates historiographiques successives. Il s’est agi aussi d’aborder l’instant révolutionnaire, là où se côtoient l’ancien et le nouveau mais pour les interroger contradictoirement sur la base d’un socle anthropologique, et de strates institutionnelles réinvesties dans les créations de l’instant et qualifiées globalement d’invention de la politique. Sa recherche, en ce domaine, s’est concrétisée alors, au terme d’un fructueux dialogue avec les anthropologues, dans son livre sur la Géopolitique de la Révolution française (1993). À partir d’un vaste jeu de cartes constitué sur la base de données socio-politiques diversifiées, donc à distance d’une appréhension unilatérale des discours et des concepts, Michel Vovelle a décrit les chemins multiples de la politisation en révolution, y compris dans des héritages de longue durée. Le propre de son œuvre a été ainsi de nous introduire à l’héritage de la Révolution française sous l’égide des valeurs nouvelles de la modernité démocratique. C’est donc autour de l’esprit de la Révolution que s’est construite et se construit encore, dans le parcours de son œuvre, une nouvelle modalité de la totalisation historique.
Après un livre d’entretiens avec Richard Figuier publié en 1989, il a précisé deux décennies plus tard la constance de son engagement politique dans les termes suivants : « Entré au parti en 1956 quand tous les autres en sortaient, sous le coup du bouleversement profond que la découverte du stalinisme avait provoqué en moi (Y entrer pour le changer ?) je n’en suis pas sorti, même à l’épreuve de la guerre d’Algérie vécue en solitude sur l’autre rive, et je suis resté obstinément fidèle en même temps qu’hérétique convaincu » (« Un historien hors des sentiers battus », Entretien, Actuel Marx, n° 40, 2006). La preuve en a été, et le demeure, sa présence régulière dans l’Humanité par des interventions et des entretiens. Il précise ainsi dans l’un de ces entretiens (15 juillet 2014), sa fidélité à la tradition révolutionnaire incarnée par Robespierre et Jaurès : « Dans la grande histoire de la Révolution française Jean Jaurès s’interroge sur le héros révolutionnaire et finit par dire : ‘C’est à côté de lui que je vais m’asseoir aux Jacobins.’ ». En fin de compte, l’œuvre de Michel Vovelle sur la Révolution française multiplie les voies d’accès à la visibilité révolutionnaire. En effet, face aux procédures d’invisibilisation de l’idéologie dominante, sa démarche d’historien constitue l’idéologie jacobine comme une instance de raison. Il en ressort une vision révolutionnaire du monde basée sur un ensemble de représentations liées à des pratiques individuelles et des actions collectives qui se déploient en vue de la conquête d’un nouveau pouvoir politique.
ŒUVRE : Principaux ouvrages publiés :
Vision de la mort et de l’au-delà en Provence du XVe au XIXe siècle d’après les autels des âmes du purgatoire, (en collaboration avec Gaby Vovelle), Paris, A. Colin, 1970. — La chute de la monarchie (1787-1792), Paris, Seuil, 1972. — Piété baroque et déchristianisation en Provence au XVIIIe siècle. Les attitudes devant la mort d’après les clauses de testaments, Paris, Seuil, 1973. — Mourir autrefois, Paris, Gallimard / Julliard, 1974. — rééd. coll. Folio, 1990. — L’Irrésistible Ascension de Joseph Sec bourgeois d’Aix , Aix, Edisud, 1975. — La Métamorphose de la fête en Provence de 1750 à 1820, Paris, Flammarion, 1976. — Religion et Révolution : la déchristianisation de l’an II, Paris, Hachette, 1976. — De la cave au grenier, Serge Fleury éditeur, Québec, 1980. — Idéologies et Mentalités, Paris, François Maspero, 1982. — La Mort et l’Occident de 1300 à nos jours, Paris, Gallimard, 1983. — La Ville des morts, essai sur l’imaginaire collectif urbain d’après les cimetières provençaux, 1800-1980 (en collaboration avec Régis Bertrand), Marseille, Editions du CNRS, 1983. — Théodore Desorgues ou la désorganisation : Aix-Paris, 1763-1808, Paris, Seuil, 1985. — La Mentalité révolutionnaire : société et mentalités sous la Révolution française, Paris, Éd. sociales, 1986. — La Révolution française. Images et Récit, 5 volumes Paris, Livre Club Diderot, Messidor, 1986. — 1793, La Révolution contre l’Église : de la raison à l’Être suprême, Bruxelles, Complexe, 1988. — Les Aventures de la raison (entretiens avec Richard Figuier), Paris, Belfond, 1989. — 1789 l’héritage et la mémoire, Privat, 1989. — Histoires figurales : des monstres médiévaux à Wonderwoman, Paris, Usher, 1989. — La Révolution française, Paris, A. Colin, 1992. — L’Heure du grand passage, Gallimard découverte, 1993. — La découverte de la politique : géopolitique de la Révolution française, Paris, La Découverte, 1993. — Les Âmes du purgatoire ou le travail du deuil, Paris, Gallimard, 1996. — Le Siècle des lumières, Paris, PUF, 1997. — Les Jacobins de Robespierre à Chevènement, Paris, La Découverte, 1999. — Les Républiques sœurs sous les regards de la grande nation, Paris, L’Harmattan, 2001. — Les Jacobins, Paris, La découverte, 2001. — Combats pour la Révolution française, Paris, La Découverte, 1993-2001. — Les Folies d’Aix ou la fin d’un monde, Éd. Le temps des cerises, Pantin, 2003. — La Révolution française expliquée à ma petite-fille, Seuil, 2006. — Les sans-culottes marseillais, le mouvement sectionnaire du jacobinisme au fédéralisme 1791 1793, Aix-en-Provence, Presses universitaires de Provence, 2009. — La Révolution au village. Une communauté gardoise de 1750 à 1815 : Saint-Jean-de-Maruéjols, Ed de Paris-Marc Chaleil, 2013. La Révolution française, nouvelle édition, Paris, Armand Colin, 2015.
— La bataille du bicentenaire de la Révolution française, Paris, La Découverte, 2017.
SOURCES : Cette notice a été réalisée par Françoise Brunel (Paris 1 -IHRF) et Jacques Guilhaumou (CNRS ENS-Lyon Triangle), avec l’aide de Régis Bertrand (Université d’Aix-Marseille - Telemme) et Josette Ueberschlag (Chercheur au laboratoire Ciméos - Université de Bourgogne), à partir d’entretiens avec d’anciens étudiants et collaborateurs de Michel Vovelle, ainsi que des informations disponibles aux Archives départementales d’Eure-et-Loir (consultées par Josette Ueberschlag) aux Archives départementales des Bouches-du-Rhône (entretien du 21 décembre 2007 avec le service des archives visuelles et orales, cote 14AV1, consulté par Régis Bertrand), dans l’annuaire de l’ENS Fontenay/Saint-Cloud, et les archives de l’Université de Provence et de l’Université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne, et des publications suivantes :
Régis Bertrand, « Michel Vovelle en Provence, de l’histoire sociale à l’histoire des mentalités », actes du colloque Aix en Provence 1948 / 1968, Création artistique et sciences humaines, Aix-en-Provence, Arch. dép-UMR Telemme, 11-13 septembre 2008, à paraître. — Jacques Guilhaumou, « Vovelle », Le Dictionnaire des sciences humaines, sous la dir. de Sylvie Mesure et Patrick Savidan, Paris PUF, 2006 p. 1225. — Patrick Garcia, « François Mitterrand, chef de l’Etat, commémorateur et citoyen », Mots, n°31, juin 1992. 1789 : Révolution française / 1989 : Bicentenaire. Gestes d’une commémoration, sous la dir. de Simone Bonnafous, Patrick Garcia et Jacques Guilhaumou. pp. 5-26. Josette Ueberschlag, Le groupe d’éducation nouvelle d’Eure-et-Loir et l’essor du mouvement Freinet (1927-1947), Caen, Presses Universitaires de Caen, 2016. — « Michel Vovelle » Who is Who in France, Paris, Laffitte 38e éd., 2006-2007, p. 2128. — Michel Vovelle, Les Aventures de la raison, entretien avec Richard Figuier, Paris, Belfond, 1989. — Michel Vovelle, « Un historien hors des sentiers battus », entretien avec Jacques Guilhaumou, Actuel Marx, N°40, 2006, p. 188 -198. — Michel Vovelle , « La mia strada alla storia (colloquio con Paolo Bianchini) », Studi storici, Rivista trimestrale dell’istituto Gramsci, an. 40- 3 luglio-settembre 1999, p. 657-680
BIANCHERI Charles
Auteur : Jean Claude Lahaxe
Né le 5 février 1925 à Marseille (Bouches-du-Rhône), mort début août 2018 ;
métallurgiste ; secrétaire adjoint du syndicat CGT des métaux de Marseille ; secrétaire
d’une section communiste de Marseille.
Fils d’un soldat italien expulsé en France après la bataille de Caporetto en 1917, Charles Biancheri
entra à l’école pratique d’industrie du boulevard de la Corderie à Marseille en octobre 1938. Encore
élève, il soutint les grèves de novembre 1938 et défila pour protester contre les prétentions
territoriales du fascisme.
Durant la guerre, Charles Biancheri se retrouva dans un groupe de résistance appelé les JFI
(Jeunes français insoumis). Il participa en mars 1941 au dépôt d’une gerbe de fleurs sur le
monument érigé à la mémoire du roi Alexandre Ier de Yougoslavie et de Louis Barthou.
Charles Biancheri adhéra à la CGT clandestine en mai 1944. À la Libération, il rejoignit les rangs
du PCF au sein duquel il devint secrétaire de section de 1945 à 1961. Il assista en avril 1945 au
congrès fondateur de l’Union de la jeunesse républicaine de France. En août 1949, il participa au
festival de la jeunesse de Budapest. En compagnie d’une délégation de militants CGT de Marseille,
il se rendit à Genève durant les négociations de paix de 1954.
Syndicaliste dans l’entreprise des moteurs Baudouin à Marseille, Charles Biancheri devint en 1961
secrétaire adjoint du syndicat CGT des métaux de cette ville. Ses nouvelles responsabilités
l’obligèrent à renoncer à son poste de secrétaire de section. Il resta membre de la cellule
communiste de son entreprise jusqu’à sa retraite en 1981.
Charles Biancheri militait en 2006 à la section communiste d’Aubagne (Bouches-du-Rhône), avec
les retraités de la CGT, à l’ANACR, au MNLE et à l’Institut d’histoire sociale de la CGT des Bouchesdu-
Rhône. Il est aussi un des adhérents de l’association Provence, Mémoire et Monde Ouvrier
(PROMEMO) présidée par Robert Mencherini.
Mort début août 2018, ses obsèques eurent lieu vendredi 17 août au funérarium du cimetière
Saint-Pierre de Marseille.
Jean-Claude Lahaxe
SOURCES : Arch. fédération communiste des Bouches-du-Rhône, déclarations effectuées en 1947
pour renseigner son autobiographie. — La Marseillaise, 2 juin 1951, 18 mai 1953, 4 mars 1976. —
Pascal Posado, Léo Lorenzi, et 150 témoins, 1938-1945 : Les communistes face à la tourmente
dans les Bouches-du-Rhône. Édité par la fédération des Bouches-du-Rhône du PCF et l’amicale des
vétérans, 1995, pages 13 et 47. — Déclarations effectuées lors des entretiens des 13 et 24 février
1997, complétées le 22 avril 2006. — Notes de Gérard Leidet.
Pour citer cet article :
http://maitron-en-ligne.univ-paris1.fr/spip.php?article16651, notice BIANCHERI Charles par Jean-
Claude Lahaxe, version mise en ligne le 20 octobre 2008, dernière modification le 14 août 2018.
2007-2018 © Copyright Maitron/Editions de l'Atelier - Tous droits réservés || Maitron - 9, rue Malher - 75004 Paris
Marcel Debelley une grande figure du syndicalisme de l'enseignement agricole
DEBELLEY Marcel, Félix
Auteur : Jean Reynaud
Né le 21 février 1927 à Gap (Hautes-Alpes) ; ingénieur-enseignant ; syndical du
SNETAP, secrétaire général du SNETAP-Auvergne, puis de la région PACA.
Ses parents, d’origine paysanne, étaient instituteurs ; son père dirigea l’école annexe de l’École
normale d’instituteurs de Gap. Après des études au lycée de Gap, puis au lycée Thiers à Marseille,
il entra à l’École nationale d’agriculture de Montpellier d’où il sortit ingénieur en 1950. Il enseigna
les techniques agricoles à l’École pratique d’agriculture de Rethel (Ardennes) de 1952 à 1956, au
lycée agricole de Clermont-Ferrand-Marmilhat (Puy-de-Dôme) de 1965 à 1970, enfin au lycée
agricole d’Aix-Valabre à Gardanne (Bouches-du-Rhône) de 1970 jusqu’à sa retraite en 1987.
En novembre 1953, Debelley épousa à Aix-en-Provence Jacqueline Lamarche qui le rejoignit dans
les Ardennes où elle devint institutrice. Militante du Syndicat national des instituteurs, elle
partagea avec son mari la totalité de ses orientations et la plupart de ses activités.
Membre dès 1952 du petit Syndicat national des écoles d’agriculture (FEN) avec double
appartenance à la CGT (1961-1964), Debelley fut l’un des fondateurs, en 1965, du Syndicat
national de l’enseignement technique agricole public-FEN (après la fusion de son syndicat avec
celui de l’enseignement agricole féminin). Avec la quasi-totalité du SNETAP, il rejoignit la
Fédération syndicale unitaire lors de sa création.
Secrétaire régional du SNETAP-Auvergne (1968-1970), puis de l’ensemble Provence-Alpes-Côted’Azur-
Corse (1970-1973), puis secrétaire départemental du SNETAP dans les Bouches-du-Rhône
(1973-1986), Debelley représenta son syndicat au conseil d’administration du lycée de Valabre et
au Comité paritaire régional de l’enseignement agricole (1978-1986). Il fut membre des
commissions administratives départementales de la FEN dans le Puy-de-Dôme et dans les
Bouches-du-Rhône, puis du comité départemental de la FSU. Après sa retraite, il participa à la
commission exécutive et du bureau de la Fédération générale des retraités de la Fonction publique
dans les Bouches-du-Rhône.
Debelley, membre du conseil national du SNETAP en 1967-1973, devint secrétaire général adjoint
en 1969-1971, puis membre de la commission nationale de contrôle du SNETAP de 1973 à 2004.
Il fut membre du collectif national des retraités du SNETAP et de la commission des retraités FSU.
Il représenta son syndicat à de nombreux congrès nationaux. En 1970-1971, il prit part au groupe
du SNETAP, qui travailla, à Cuba, avec les enseignants cubains du Technique.
Adhérent du Parti communiste français depuis 1954, Debelley s’opposa sur le fond, à partir de
1956, à la politique d’alliance avec le Parti socialiste SFIO en raison, notamment de sa position sur
la guerre d’Algérie. Il fut, avec son épouse, exclu du parti en 1959. Il n’adhéra ensuite à aucune
organisation politique, mais devint un des principaux rédacteurs des bulletins Le Communiste, Le
Communiste des Bouches-du-Rhône et Regroupement Communiste.
Debelley s’engagea dans de nombreuses associations, notamment le Mouvement de la paix, le
Comité Audin, le Mouvement contre le racisme, l’antisémitisme, pour la paix, l’Association des
amis de la République sahraouie démocratique dont il créa le Comité marseillais en 1975, France-
URSS, France-RDA, France-Cuba dont il fut membre de la direction nationale à partir de 1975.
SOURCES : Arch. syndicales. — Renseignements fournis par l’intéressé.
Pour citer cet article :
http://maitron-en-ligne.univ-paris1.fr/spip.php?article21665, notice DEBELLEY Marcel, Félix par
Jean Reynaud, version mise en ligne le 25 octobre 2008, dernière modification le 8 juillet 2014.
NACE Rémy
Auteur : Gérard Leidet
Né le 1er octobre 1934 à Salon-de-Provence (Bouches-du-Rhône), mort le 17 mai 2016 ;
employé puis représentant de commerce (VRP), militant associatif (FSGT), syndicaliste
CGT et membre du Parti communiste français (1952-1988).
Rémy Nace est le fils de Aimé Nace* et Mireille Imbert. Son père serrurier de profession était
militant ajiste et syndicaliste à la CGT. Militant communiste aux ADN (Aciéries du Nord), il diffusait
le journal Rouge-Midi (un temps quotidien) et était considéré comme un « meneur », un homme
d’une grande rigueur morale. Sa mère était employée à l’entreprise de fabrication des bandes
Velpeau.
Dans son enfance Rémy Nace fut marqué par l’influence de son instituteur, Monsieur Bourdelon,
un militant libertaire qui était un adepte de l’Espéranto auquel il initiait ses élèves lors des études
surveillées. Il poursuivit ses études au cours complémentaire de la rue du Docteur Escat jusqu’en
classe de troisième, un établissement scolaire marseillais qui fut l’un des premiers à intégrer des
classes mixtes. On était en 1949 et le jeune adolescent qui avait perdu son père quelque temps
auparavant – décédé prématurément en octobre 1945- ne put prolonger ses études (il espérait
devenir professeur de mathématiques) car il dut subvenir aux besoins de sa famille. Il aida alors
sa mère qui tenait un kiosque à journaux à Marseille après avoir été la secrétaire d’Yvonne
Estachy (militante communiste et conseillère municipale de Marseille, qui fut plus tard députée
entre 1951 et1958). L’engagement syndical puis politique de Rémy Nace prit sa source dans le
souvenir du parcours militant de son père et dans le climat social agité de l’après-guerre à
Marseille. Il participa à sa première manifestation le 14 novembre1947, lors des obsèques de
Vincent Voulant*, un jeune ouvrier communiste tué dans des circonstances tragiques ; un
contexte troublé donc qui marqua profondément le jeune adolescent.
En effet, la France de l’après-Libération était secouée par une vague de grèves dites
« insurrectionnelles » qui se développaient et comptèrent parmi les luttes sociales les plus « âpres
de ce demi-siècle ». Le mouvement de grèves toucha d’abord le sud du pays, en commençant à
Marseille par l’arrestation en novembre de quatre militants de la CGT alors que montait la
protestation contre l’augmentation du prix des tramways. Les incidents se succédèrent alors dans
la cité phocéenne ; le Palais de Justice fut pris d’assaut après la décision de justice qui maintenait
les inculpés en détention. La journée s’acheva tragiquement : des " nervis " tirèrent sur les
manifestants qui mettaient à sac les " boîtes de nuit " des quartiers chauds : « À Marseille dans
l’après-midi du vendredi 14 novembre, les obsèques de Vincent Voulant sont l’occasion d’une
nouvelle extension du mouvement. Un cortège de plusieurs milliers de personnes part de la
Bourse du Travail pour aller rejoindre le cortège funèbre devant les Aciéries du Nord (là où travailla
le père de Rémy Nace, NDA) et l’accompagne jusqu’au cimetière Saint-pierre. Pendant cet aprèsmidi,
Marseille est pratiquement une ville morte, les commerçants ayant tiré les rideaux et les
traminots immobilisé leurs véhicules… ». (Robert Mencherini, op cité, page 28).
De cette époque date sans doute son opposition manifeste à Gaston Defferre à qui il ne pardonna
jamais son attitude « déloyale » du 27 octobre 1947 (lors de la première réunion du conseil
municipal issu des récentes élections, celui-ci se maintint au troisième tour permettant ainsi au
RPF Michel Carlini de l’emporter sur Jean Cristofol, le maire communiste sortant) et son hostilité
face à la création du syndicat CGT-Force ouvrière. Ce double ressentiment allait accompagner sa
vie militante et citoyenne.
A cette époque Rémy Nace militait déjà à la Fédération sportive et gymnique du Travail (FSGT), un
des « actes fondateurs » de ses engagements où il disait « avoir tout appris et s’être révélé à luimême
». Il eut très tôt des responsabilités régionales à la FSGT : à l’âge de quinze ans il était
responsable des activités de plein air et membre des « Amis de la nature », puis membre du
bureau régional du plein air il fut secrétaire de ce même BRPA en 1951, avant de devenir, une
décennie durant (1968-1979), vice-président de la FSGT 13.
Dans l’intervalle, en 1950, Rémy Nace avait rejoint l’Union de la jeunesse républicaine de France
(UJRF) qui avec ses 250 000 adhérents depuis 1945 était alors le mouvement politique de
jeunesse le plus important du pays, avant d’adhérer au Parti communiste français en 1952. Dans
le même temps il fréquentait les Auberges de jeunesse de la région, notamment celle d’Allauch
créée par le poète occitan Jorgi Reboul* pendant le Front populaire, animée par son père et par
l’institutrice Antonia Gérardy puis celle de La Ciotat inaugurée plus tard. Il prit part aux débats qui
agitaient les différents mouvements ajistes et les associations d’éducation populaire (AIL, Francas,
mouvement Léo Lagrange). Depuis 1938 en effet, la longue période de développement où
apparaissaient différents courants ajistes se clôturait et devait aboutir en 1956 à la création de la
Fédération Unie des Auberges de Jeunesse (F.U.A.J.) qui rassemblait enfin tous les courants ; une
unification qui se réalisa d’ailleurs à Marseille de manière anticipée puisqu’elle fut effective dès
1954. L’idée dominante pour lui et ses camarades, développée par le Parti communiste, était que
« face à l’Etat il fallait être fort et uni ». Rémy Nace devint alors secrétaire adjoint départemental
de la FUAJ avec Gaby Reynaud (secrétaire) et Etienne Giraud (président).
Sur le plan professionnel Rémy Nace exerça alors plusieurs métiers. Il fut ainsi, entre 1950 et
1952, embauché comme magasinier puis employé de bureau aux établissements Milhaud et Rosa,
grossiste en fruits secs. En mai 1952, il opta pour l’optique et la lunetterie (fabrication de verres
de lunettes). C’est en 1954 qu’il adhéra à la CGT sous l’influence de Fernand Bertrand journaliste
au quotidien communiste La Marseillaise. En novembre 1959, Rémy Nace devint représentant-VRP
chez Singer puis Phénix assurances pour enfin se fixer en octobre 1960 comme représentant et
technicien pour les appareils de photocopie chez Kodak. Dans cette dernière entreprise le débat
social, était animé par François Torelli, militant de la CGT-FO. C’est entre 1965 et 1968 que Rémy
Nace devint secrétaire général CGT du syndicat des VRP pour les Bouches-du-Rhône, membre de
fait de l’Union départementale CGT. En 1968, la grève qui éclata chez Kodak d’abord à Vincennes,
Sevran, et Châlon-sur-Saône, suivie à 80 % par le personnel s’étendit à l’ensemble des autres
établissements. Lors d’une réunion du personnel à Marseille, animée dans un premier temps par
François Torelli qui insistait sur les aspects matériels des conditions de travail, Rémy Nace désireux
d’apporter une analyse sociale plus complète, proposa l’adoption d’un cahier de doléances et fit
voter à bulletins secrets l’appel à la grève, suivi par 70 % du personnel marseillais. À partir du
13 mai, et pendant trois semaines, l’entreprise Kodak-Marseille qui comprenait 300 salariés dont
200 ouvrières fut fermée et occupée dans un contexte de grève générale. L’inauguration du nouvel
établissement, désormais situé au Redon (quartier du 9e arrondissement de Marseille), prévue ce
jour du 13 mai avec la participation de Gaston Defferre, n’eut jamais lieu. Avec le soutien de
Marius Colombini alors secrétaire général de l’UD-CGT des Bouches-du-Rhône (lequel devait
laisser la place à Henri Sarrian* en 1970) et de Raphaël Marseille (CGT chimie), la création de la
section syndicale d’entreprise (SSE créée par la Loi du 27 décembre 1968 en application des
accords de Grenelle) était en cours. Rémy Nace en fut le premier délégué syndical CGT, élu
également secrétaire du CE, ce qui fut contesté par la direction car l’entreprise du Redon n’était
pas considérée comme un établissement autonome mais comme une antenne de Kodak-Paris. Il
fut ainsi pendant près de vingt ans le représentant syndical de la CGT au CCE Kodak puis au
comité européen du groupe après avoir suivi toutes les écoles de formation centrale de son
syndicat. Enfin, entre 1988 et 1994, Rémy Nace assuma la direction des stages de formation au
centre CGT Benoît Frachon à Courcelles-sur-Yvette en direction des CE et CCE pour la Fédération
chimie.
Sur le plan politique, Rémy Nace fut très influencé par Célestin Dujardin, responsable communiste
de la section du 6e arrondissement, considéré comme « le Maire de Castellane » (quartier de
Marseille). Membre du Parti communiste durant près de quarante ans (1952-1988), il suivit l’école
fédérale « moyenne » du Parti (15 jours), puis effectua plusieurs voyages dans les pays de l’Est,
notamment en 1967 lors des « Spartakiades » de Prague qui durèrent un mois. En effet, l’URSS
avait choisi quinze ans auparavant de rejoindre les Jeux olympiques d’Helsinki, en 1952, afin
d’apaiser les tensions à propos de la Guerre froide et les Spartakiades internationales cessèrent.
Cependant le terme demeura pour désigner différents événements sportifs internes, du local au
national, avec les Spartakiades du Peuple et de l’URSS ; c’est ainsi que les premières Spartakiades
soviétiques eurent lieu en 1956. À propos de ces années-là, s’il approuva la direction du Parti dans
son analyse de l’insurrection de Budapest en octobre et novembre 1956 - craignant un retour
d’une « dictature du type de celle de l’amiral Miklós Horthy » - il fut soulagé par l’intervention de
Waldeck Rochet lors du printemps de Prague de 1968. Sa prise de distance avec le militantisme
communiste s’exerça lors du tournant de la rigueur en 1983-1984. Rémy Nace ne reprit pas sa
carte lors du soutien du PCF à François Mitterrand* à l’approche du second tour de l’élection
présidentielle de 1988. A cela s’ajoutèrent des déceptions consécutives à des pratiques locales et
départementales qu’il jugea trop « bureaucratiques » même si des militants tels Marcel Benassi,
[Louis Gazagnaire-S24948] et Marcel Tassy* le marquèrent durablement. Désenchanté
politiquement, il espéra longtemps connaître les temps de « l’homme nouveau » entrevu dans sa
jeunesse militante. Toujours électeur communiste, lecteur assidu de l’Humanité, participant à
toutes les initiatives du mouvement social à Marseille (manifestations, meetings), Rémy Nace
conserve de fortes convictions demeurées intactes grâce à la constitution du Front de Gauche qui
représente un espoir pour lui.
A la suite d’une rencontre avec l’historien Robert Mencherini, Rémy Nace adhéra en 2007 à
l’association Promémo (Provence mémoire et monde ouvrier) qui rassemble les Amis du Maitron
en Provence. Il en rejoignit le bureau l’année suivante pour y occuper la fonction de trésorier.
Cette implication lui permit de mettre à profit un intérêt ancien pour l’histoire et la mémoire du
mouvement ouvrier.
Rémy Nace s’était marié en juin 1956 avec Jacqueline Kac, rencontrée aux « Amis de la Nature ».
De cette union naquirent Lionel en 1961 et Christian en 1963. Divorcé en juin 1971, Rémy Nace se
remaria avec Gisèle Brito en 2002 avec laquelle il vivait maritalement depuis 1976. Il réside à
Peynier (Bouches-du-Rhône) depuis 1979.
OEUVRE : Rémy Nace a participé à la rédaction de la revue Promémo (« Mémoire ajiste », in le
Bulletin de Promémo n° 7, décembre 2007 ; « une expérience culturelle avec le CE », in le Bulletin
de Promémo n° 15, mai 2013). Il a rédigé une contribution, « La Commune en chantant » dans
l’ouvrage collectif Autour de la Commune de Marseille, aspects du mouvement communaliste dans
le Midi, ed Syllepse, 2013 (sous la direction de Gérard Leidet et Colette Drogoz).
SOURCES : Robert Mencherini, Guerre froide, grèves rouges ; Parti communiste, stalinisme et
luttes sociales en France ; les grèves « insurrectionnelles » de 1947-1948 ; éd Syllepse, 1998. —
Entretien avec le militant, 17 juillet 2012. — Archives FSGT 13. — Archives fédération des BDR du
PCF.
Pour citer cet article :
http://maitron-en-ligne.univ-paris1.fr/spip.php?article146161, notice NACE Rémy par Gérard
Leidet, version mise en ligne le 25 avril 2013, dernière modification le 24 octobre 2016.